Le 13 juin, après la prière du vendredi, les nouveaux maîtres de Mossoul ont distribué un communiqué annonçant la mise en vigueur immédiate de 16 règles strictes. Désormais, il était interdit de fumer ou de boire de l'alcool. Les femmes non accompagnées devaient s'abstenir de quitter leur maison à moins d'absolue nécessité.

Une chape de plomb s'est abattue sur Mossoul. «Le 18 juillet, un imam a déclaré à la mosquée que les chrétiens devaient quitter la ville sinon, ils seraient tués le lendemain à midi. Mon voisin, musulman, est venu me prévenir. Il m'a dit que je devais partir. Qu'il ne pouvait pas me défendre, parce qu'ils tueraient son propre fils», raconte Amer Yaquob Ashao, 53 ans.

Comme des dizaines de milliers d'autres chrétiens, Amer a fui à Erbil, capitale du Kurdistan irakien, à 100 km à l'est de Mossoul. Il a trouvé refuge dans la carcasse d'un immeuble en construction, en face de l'église Saint-Joseph. Ici, faute de mieux, les réfugiés tentent de recréer un semblant de vie normale. On a aménagé une petite cuisine. On a dressé des cloisons pour donner un peu d'intimité aux familles qui ont tout perdu.

Amer est resté en contact avec son voisin. «Je l'ai appelé hier. Il m'a raconté que, pour sortir, les femmes doivent se couvrir entièrement de noir, y compris le visage. Alors, quand il perd la sienne de vue, au marché, il n'arrive plus à la reconnaître parmi toutes les autres. Il doit l'appeler sur son cellulaire pour lui demander: laquelle de ces femmes es-tu?»

Amer rigole pour ne pas pleurer. Sa ville n'est plus que l'ombre d'elle-même. Les rues sont patrouillées par des djihadistes afghans, tchétchènes, américains, européens. Les femmes n'ont pas le droit de travailler. Il n'y a plus d'eau chaude, plus de kérosène. Les pannes fréquentes paralysent la cité. La peur, aussi. De la répression, des frappes aériennes, de l'avenir.

«L'État islamique n'est certainement pas un État, a dit Barack Obama, le 10 septembre. C'est une organisation terroriste, pure et simple. Elle n'a aucune autre vision que de massacrer ceux qui se trouvent sur son chemin.»

Pourtant, sans être un État, l'EI contrôle désormais un large territoire en Irak. Ses combattants ont déboulé la vallée de l'Euphrate à une vitesse fulgurante, forçant l'armée irakienne à battre en retraite. À Mossoul, l'EI gouverne, prélève des taxes, assure la sécurité à la manière d'un État. Un État policier.

Trahison

Habib Ayoub Tomas, 72 ans, a été trahi par son propre voisin. Il habite Karakosh, la plus grande ville chrétienne d'Irak. Le 6 août, sa fille Rita est venue de Turquie dans l'espoir de le ramener avec elle, en sécurité. Hélas, c'est ce jour-là que les islamistes ont choisi pour conquérir la ville.

«Mon voisin lui a fait croire qu'il était chrétien pour la piéger. Il l'a livrée aux gens de l'EI», raconte le vieil homme, désespéré. Presque aveugle, s'appuyant sur sa canne, il a trouvé refuge dans l'immeuble en construction d'Erbil. «Il paraît qu'ils ont habillé ma fille en musulmane et qu'ils ont changé son nom. Il paraît qu'elle travaille maintenant pour l'EI, qu'elle fouille les femmes aux points de contrôle. Mais ce sont des rumeurs. Elle est peut-être morte.»

Habib ne peut qu'attendre. Comme des milliers d'autres, qui espèrent chaque jour des nouvelles de leurs filles, de leurs soeurs, de leurs mères. Ils en ont rarement. Parfois, ils reçoivent un appel. Elles leur annoncent qu'elles se sont mariées et leur font leurs adieux: elles partent vivre à Raqqa, fief du groupe terroriste en Syrie.

Si Habib a été trahi, Amer doit tout, lui, à son voisin musulman. «C'est un homme bon. Il surveille ma maison et arrose mon jardin tous les jours. Il m'a envoyé mes documents par taxi jusqu'à Erbil, ça lui a coûté 50 000 dinars (47$). Les chrétiens et les musulmans ont toujours vécu comme des frères à Mossoul. Mais si l'EI s'incruste, s'il s'empare des écoles, j'ai peur pour la prochaine génération.»