Les djihadistes avaient promis de les laisser partir. Ils avaient assuré aux habitants du petit village de Kocho qui refusaient de se convertir à l'islam qu'ils les escorteraient au mont Sinjar, où s'étaient déjà réfugiés en panique des dizaines de milliers de yézidis. Mais ils n'ont pas tenu leur promesse.

Il y avait déjà deux semaines que l'organisation État islamique (EI) avait pris le contrôle du village de Kocho, à une centaine de kilomètres à l'ouest de Mossoul. En ce matin du 15 août, les djihadistes ont réuni les 1200 habitants à l'école. Ils ont séparé les hommes des femmes et des enfants. Puis, ils ont entassé les hommes à l'arrière de camionnettes, comme du bétail. «On pensait qu'ils nous amèneraient à la montagne. Mais ils nous ont conduits à la sortie du village. Là-bas, ils nous ont fait nous étendre sur le ventre. Et ils ont tiré.»

Étendu sur un mince matelas, le bras en écharpe, Khaled Mrad Psi raconte son histoire d'une voix lasse. Il a été recueilli par des amis à Sharia. Ce soir, la lumière est blafarde dans la grande pièce nue. Sur sa petite table de chevet, un paquet de cigarettes, un vieux cendrier et des pilules antidouleur. Chacun de ses gestes semble le faire souffrir. Mais c'est sans doute le souvenir de ce qu'il a vu qui reste le plus intolérable.

«Ils ont tiré et tiré, sans arrêt. J'ai reçu deux balles dans le bras, qui ont cassé mon os, et une dans la cuisse. J'ai fait semblant d'être mort. J'avais peur de me relever. Je suis resté immobile.» Au bout de 10 minutes, les combattants sont partis chercher une autre cargaison d'hommes à abattre. «Je me suis levé. Tout le monde était mort. Les garçons de 15 ans, les vieillards. Tous morts. Je me suis caché dans une ferme voisine et j'ai attendu la nuit. Puis, j'ai fui à la montagne.»

Un véritable massacre

Ce matin-là, les djihadistes de l'EI ont massacré 400 hommes et garçons de Kocho. Une véritable boucherie. Plusieurs d'entre eux, blessés par la pluie de balles, ont agonisé pendant des heures. D'autres ont été enterrés vivants à l'aide d'un bulldozer.

Le yézidisme est une religion qui plonge ses racines dans la Perse antique, plus ancienne encore que l'islam et le christianisme. Mais les djihadistes considèrent ceux qui la pratiquent comme des adorateurs du diable. Comme au temps des croisades, ces guerriers se sentent investis d'une sainte mission: forcer une minorité religieuse à se plier à leur Dieu. Ou mourir.

Amnistie internationale, qui a enquêté auprès des survivants, dénonce un «nettoyage ethnique à une échelle historique dans le nord de l'Irak». Dans un rapport publié le 2 septembre, l'organisation conclut que «l'EI a systématiquement ciblé les communautés non arabes et non musulmanes, tuant ou kidnappant des centaines, possiblement des milliers de gens, et forçant plus de 830 000 autres à fuir les régions qu'il a envahies depuis le 19 juin 2014».

Une marée humaine

Les vagues d'exodes se succèdent. Ces derniers jours encore, 130 000 Kurdes ont été forcés de fuir l'avancée de l'EI dans la région de Kobani, en Syrie.

Pour bien faire comprendre aux minorités religieuses qu'il n'y a pas de place pour elles en Irak, l'EI a systématiquement détruit leurs lieux de culte et leur héritage culturel, selon Amnistie. L'EI a fait exploser les mosquées chiites et les temples yézidis. À Mossoul, il a retiré la statue de la Vierge de l'église et a même dynamité l'antique tombeau du prophète Jonas.

Pendant des siècles, d'innombrables religions se sont côtoyées dans la vallée de l'Euphrate. Une inestimable richesse culturelle aujourd'hui menacée par le fanatisme génocidaire des fous d'Allah.

Depuis le massacre, Khaled Mrad Psi n'a eu aucune nouvelle de ses 11 frères, probablement tous morts. Ses quatre soeurs et sa femme sont retenues prisonnières à Mossoul et à Tal Afar. «La dernière fois que j'ai parlé à ma femme au téléphone, c'était il y a 20 jours. Elle avait très peur. Elle ne savait pas si on allait la tuer ou l'envoyer en Syrie. Elle ne savait pas ce qui allait lui arriver. Depuis, je n'ai plus réussi à la contacter.»

Pour Khaled, comme pour les réfugiés qui s'entassent par centaines de milliers sous les toiles blanches des camps établis aux environs de Dohuk, il n'y a déjà plus de passé, plus d'Irak. Mais de grâce, supplient-ils, n'oubliez pas nos filles, restées derrière.