Jamais depuis la Guerre du Golfe de 1991, les États-Unis n'avaient réussi à rallier autant de pays arabes à des frappes militaires au Moyen-Orient, Washington vantant l'unité de vues de ses alliés arabes face à la menace du groupe État islamique.

Mais des experts doutent que cette alliance américano-arabe exceptionnelle tienne la route à long terme pour réussir ce que le président Barack Obama a solennellement qualifié mercredi à l'ONU de «mission d'une génération (...) pour les peuples du Moyen-Orient».

La veille à New York, en marge de l'Assemblée générale des Nations unies, M. Obama était allé remercier les cinq gouvernements arabes ayant participé aux premières frappes aériennes contre les djihadistes de l'EI en Syrie: l'Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, la Jordanie, Bahreïn et le Qatar.

Après cette réunion inédite, des diplomates américains s'étaient félicités de «l'unanimité autour de la table» face à «la menace (posée par l'EI) qui unit tout le monde». Aux yeux d'un de ces responsables du département d'État, ces pays arabes seront même «impliqués à long terme» pour éliminer les djihadistes ultra-radicaux sunnites qui sévissent en Irak et en Syrie.

A première vue, la diplomatie américaine et son patron John Kerry ont effectivement réussi le tour de force de bâtir en quelques semaines une coalition avec les monarchies du Golfe, l'égypte, la Jordanie, le Liban et l'Irak.

Le 11 septembre à Jeddah (Arabie saoudite), ces dix pays arabes s'étaient engagés à «prendre part chacun à la lutte globale contre l'EI», y compris dans le cadre d'une «campagne militaire coordonnée».

Une mention d'importance dans le communiqué de Jeddah qui ouvrait la voie aux frappes de mardi.

De fait, ces bombardements aériens arabes sont sans précédent depuis la Guerre du Golfe commencée en janvier 1991 en Irak après l'invasion du Koweït. A l'époque, la coalition internationale était certes plus large qu'aujourd'hui et davantage de nations arabes étaient militairement impliquées, notamment avec des troupes au sol de pays du Golfe.

Du jamais vu au Moyen-Orient 

Mais cinq nations arabes conduisant simultanément des frappes aériennes, aux côtés de l'allié américain, est du jamais-vu depuis des décennies dans un conflit au Moyen-Orient.

Lors de la dernière opération internationale d'envergure en Libye en 2011, seuls les Émirats arabes unis et le Qatar s'étaient impliqués militairement.

Mais combien de temps tiendra cette alliance de pays arabes --tous à majorité sunnite mais concurrents régionaux-- censée démanteler ce que le président Obama a appelé le «réseau de la mort» de l'EI?

Ces puissances arabes ont bien «un ennemi commun, mais on se demande vraiment si elles seront impliquées à long terme» avec les États-Unis, s'interroge Kim Holmes, du centre de réflexion Heritage Foundation.

Son collègue Anthony Cordesman, du Center for Strategic & International Studies (CSIS), pointe aussi les «alliés incertains» que sont selon lui la Turquie et le Qatar. Ankara maintenant l'ambiguïté sur sa participation militaire à la coalition, Doha étant accusé de double jeu et de soutien à la cause des djihadistes.

En outre, relevait, avant les frappes, le centre d'études Soufan Group, tous les pays arabes de la coalition sont loin d'avoir les mêmes intérêts. Ainsi, «l'Arabie saoudite et l'Egypte auront à coeur d'inclure la lutte contre l'EI dans une campagne plus large contre les Frères musulmans et d'autres groupes islamistes qui représentent à leurs yeux une menace au moins égale, si ce n'est supérieure, à celle de l'EI», écrivaient ces spécialistes.

Le nouveau régime égyptien du président Abdel Fattah al-Sissi, soutenu par Ryad, a mené une terrible répression contre les partisans des Frères musulmans de l'ancien président déchu Mohamed Morsi.

De plus, des monarchies du Golfe, au premier rang desquelles l'Arabie saoudite, ont rejoint la coalition anti-EI dans l'espoir également d'un départ à terme du président syrien, honni, Bachar al-Assad. «Vaincre l'État islamique ne pourrait être qu'une répétition», relève Ramzy Mardini, de l'Atlantic Council. Une «première phase (...) avant une seconde pour obtenir un changement de régime en Syrie», pense le chercheur.