Seul pays musulman à faire partie de l'OTAN, la Turquie refuse de faire partie de la coalition militaire menée par les États-Unis pour venir à bout des combattants de l'État islamique (EI) en Syrie et en Irak. Pourquoi? Regard sur la relation entre la Turquie et l'État islamique en quatre volets.

OTAGES

En juin dernier, lorsque l'État islamique a pris le contrôle de la ville irakienne de Mossoul, le groupe extrémiste a aussitôt fait irruption au consulat turc, prenant en otage 49 personnes, dont le consul et 3 enfants. À la veille des élections présidentielles, Reccep Tayyip Erdogan a imposé un interdit de publication sur la nouvelle, en affirmant qu'il négociait leur libération. Il a été élu président, mais les otages sont toujours à la merci de l'État islamique. Les autorités turques indiquent maintenant qu'elles doivent rester à l'écart de l'intervention militaire afin de ne pas mettre leur vie en danger. «Avoir des otages n'a pas empêché d'autres pays d'intervenir dans le passé. Ils ne se sentent pas tous obligés de marcher sur des oeufs», note David Romano, professeur de sciences politiques à l'Université d'État du Missouri.

ENNEMIS DE MES ENNEMIS

Le président Erdogan ne s'en cache pas, il veut se débarrasser de Bashar al-Assad. «Il en a fait une croisade personnelle. Quand Assad a commencé à s'en prendre aux sunnites, il y a vu un affront personnel, dit David Romano. Il a fait le calcul que les combattants les plus efficaces contre Assad sont les groupes comme l'État islamique.» Pays majoritairement sunnite, la Turquie a refusé de signer la déclaration de Djeddah, qui a condamné l'EI, et hésite à qualifier l'organisation de terroriste. «Il n'y a pas de preuve que la Turquie a fourni des armes, mais c'est documenté que des combattants de l'État islamique ont eu le libre passage dans le pays et que certains ont été soignés dans les hôpitaux turcs aux frais de l'État», ajoute l'expert.

RECRUTEMENT

L'État islamique recrute sans gêne en Turquie. L'organisation a notamment un centre de recrutement à Ankara. Selon des rapports médiatiques et gouvernementaux, un peu plus de 1000 Turcs font aujourd'hui partie des forces de l'État islamique. Plus de 95 Turcs ont été tués en se battant pour le nouveau califat.

Des familles entières auraient récemment décidé d'aller vivre dans les territoires contrôlés par l'EI. «L'État islamique fait miroiter une vie idéale pour les familles, des parcs, des piscines. Ça fait partie des techniques de recrutement», explique David Romano, en notant que des dizaines de familles de Konya ont récemment décidé de plier bagage et d'aller s'installer en Irak.

NON-INTERVENTIONNISME

Principal expert de la Turquie à l'International Crisis Group, Hugh Pope, joint à Istanbul, note que ce n'est pas la première fois que la Turquie refuse d'intervenir militairement au Moyen-Orient. Lors de la guerre en Irak en 2003, la Turquie ne s'était pas jointe à la coalition qui soutenait l'intervention de George W. Bush. «Les gens ont toujours de grandes attentes à l'égard de la Turquie, mais historiquement, ils n'interviennent pas au Moyen-Orient. Ça les rend trop vulnérables», dit M. Pope. «La priorité des dirigeants turcs en ce moment doit être de garder leur maison en ordre», ajoute-t-il. Selon lui, le gouvernement a raison de ne pas attiser les questions sectaires en évitant de prononcer des discours pro-sunnites. Hugh Pope croit aussi que le gouvernement d'Ankara aurait tout intérêt à accélérer le processus de paix avec les militants kurdes. «Cela rendra la Turquie plus forte», soutient-il. Il ajoute que l'Occident aurait pour sa part tout avantage à soutenir la Turquie, qui héberge actuellement 1,2 million de réfugiés syriens.