Les Kurdes irakiens, qui revendiquent depuis des décennies leur indépendance, seront appelés à se prononcer à ce sujet dans quelques mois lors d'un référendum susceptible d'ouvrir la voie à la partition formelle du pays.

L'annonce de cette consultation survient alors que le gouvernement central à Bagdad tente d'endiguer la progression de djihadistes sunnites qui entendent fonder un nouveau califat couvrant l'ouest de l'Irak et une partie de la Syrie.

Le président du Kurdistan irakien, Massoud Barzani, a officiellement demandé hier au Parlement de la région autonome de «préparer l'organisation d'un référendum sur le droit à l'autodétermination».

En entrevue à la BBC il y a quelques jours, M. Barzani a déclaré que les événements des dernières semaines rendaient plus que jamais d'actualité le projet d'indépendance kurde.

«Désormais, nous ne cacherons pas que tel est notre objectif. L'Irak est déjà de fait divisé. Sommes-nous censés rester captifs de la situation dramatique que vit le pays?», a-t-il demandé.

Les Kurdes ont renforcé leur position récemment dans le nord en prenant le contrôle de la ville pétrolière de Kirkouk, abandonnée par les forces de l'armée nationale face à l'avancée des djihadistes.

David Romano, professeur de l'Université d'État du Missouri spécialiste de la question kurde, pense que la tenue d'un référendum constitue une étape importante avant que le Kurdistan ne publie une déclaration d'indépendance.

«Mais ça ne signifie pas qu'ils prendront ensuite la décision de faire une telle déclaration», prévient-il.

Le résultat du référendum ne fait guère de doute et montrera un «soutien massif» des Kurdes à l'autodétermination. La suite du processus risque cependant d'être beaucoup plus ardue, note M. Romano.

Bien que la région autonome jouisse d'une économie relativement prospère et d'une stabilité enviable en comparaison du reste du pays, elle est enclavée et nécessite le soutien de l'un des pays limitrophes, notamment, dit-il, pour exporter ses matières premières.

Selon M. Romano, la Turquie apparaît paradoxalement comme le pays le plus susceptible d'appuyer les Kurdes irakiens. Ankara a tissé avec la région autonome d'étroits liens politiques et économiques et pense être capable, advenant l'indépendance, de contrôler les ambitions politiques des Kurdes vivant sur son propre territoire.

L'analyste précise que les Kurdes irakiens ont aidé la Turquie à contrer les actions du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qui mène depuis plusieurs années des actions de guérilla dans l'est du pays.

À court terme, l'utilité première du référendum pour les dirigeants kurdes sera de faire pression sur Bagdad et la communauté internationale afin de faire avancer leurs intérêts à l'échelle nationale, juge M. Romano.

Henri Barkey, spécialiste en relations internationales de l'Université Lehigh, en Pennsylvanie, est aussi d'avis que l'annonce de la tenue d'un référendum d'autodétermination par les Kurdes leur permettra de peser lourdement sur la composition du prochain gouvernement et de favoriser l'autonomie de la région.

Les dirigeants kurdes, note l'analyste, réclament notamment le départ du premier ministre chiite Nouri al-Maliki, qui refuse de se retirer. Cette semaine, le Parlement irakien devait discuter de la formation d'un gouvernement d'unité nationale, mais les discussions ont avorté faute de quorum.

Pas d'appui des États-Unis

M. Barkey ne pense pas que le Kurdistan pourra accéder à l'indépendance dans le contexte politique actuel. «Les États-Unis ne soutiennent pas ce scénario. Personne ne le soutient», note le professeur, qui ne croit pas à un appui éventuel de la Turquie à ce sujet.

Selon lui, Massoud Barzani joue un jeu «à haut risque» puisqu'il est loin d'être certain qu'il pourra garder le contrôle du programme politique tout en alimentant la ferveur indépendantiste de la population.

«Il pense qu'il va pouvoir canaliser à son profit l'enthousiasme qui va émerger. C'est possible, mais de drôles de choses peuvent survenir en politique», dit M. Barkey.

Le politologue Sami Aoun pense que l'administration américaine fera tout en son pouvoir pour empêcher la partition du pays et mise à cet égard sur la composition d'un gouvernement plus inclusif. Le secrétaire d'État américain John Kerry a insisté mercredi auprès de M. Barzani sur le fait que les Kurdes devaient jouer un rôle de premier plan dans le processus.

«Si Maliki dit qu'il est le plus populaire et s'accroche au pouvoir, ce sera une guerre ouverte et les Américains vont se casser la figure», note l'analyste.