«Il y a 15 ans, le bout de rue que vous voyez par la fenêtre était le buffet de tous les vices.»

Nous nous trouvons dans un minuscule musée qui commémore la participation de soldats noirs dans l'armée de l'Union, lors de la guerre de Sécession.

Le conservateur du musée, Hari Jones, montre du doigt une fenêtre donnant sur la 12e Rue, près de la rue U. Jusqu'au début des années 90, ce coin de la ville était le rendez-vous de tous les éclopés: crack, vol, prostitution.

 

«À l'époque, je n'osais pas m'aventurer ici», dit cet homme qui, avec ses épaules larges et ses tresses rasta, n'a pourtant rien d'un gringalet.

Aujourd'hui, plus personne ne craint de déambuler dans ce quartier, devenu en une décennie le coin le plus branché de Washington. Une sorte de Plateau sur la Potomac. Les immeubles placardés ont cédé la place à des condos luxueux et à des restaurants chic où l'on croise artistes, fonctionnaires et jeunes loups de la politique. Des gens de toutes origines et de toutes les couleurs.

La «U Street» n'a pas toujours été une zone sinistrée. Au début du XXe siècle, elle accueillait les plus grands noms du jazz américain. C'était le «Broadway noir» de Washington. Mais les émeutes qui y ont éclaté après l'assassinat de Martin Luther King, en 1968, ont laissé le quartier en ruine, abandonné aux gangs et au crime.

«C'était un quartier mort», résume Kathleen Wilson, serveuse au Creme Cafe&Lounge, un des restaurants chic qui ont ouvert dans la rue U au cours des dernières années.

Tout a commencé à changer au début des années 90. Pour ressusciter le quartier, la Ville a installé des bureaux municipaux en plein coeur de la zone dévastée. Une station de métro a suivi. Peu à peu, les investisseurs ont apparu. «Depuis cinq ans, le boom a été incroyable», dit le journaliste local Ben Shlesinger.

Copropriétaire du Creme Cafe, Tegas Ayalew, d'origine éthiopienne, a ouvert il y a 10 ans son premier restaurant dans U Street. «En face, il y avait un parking délabré. Aujourd'hui, c'est un immeuble dont les appartements valent un demi-million», dit-elle.

La rumeur veut que des proches de Barack Obama, dont le rédacteur de ses discours, Jon Favreau, aient emménagé dans le quartier. «L'autre jour, une dame qui a étudié avec Michelle Obama est venue manger chez nous», dit fièrement Tegas Ayalew.

À l'image de l'héritage mixte du président, la rue U s'est diversifiée au fil des ans. Mais est-ce vraiment un signe de tolérance? Le ghetto noir ne s'est-il pas simplement déplacé, chassé par les nouveaux arrivants?

«C'est vrai que certains des plus pauvres quittent le quartier, reconnaît la restauratrice. Mais les logements sociaux restent. Et puis, les valeurs changent. Pour mes enfants, tous dans la vingtaine, il est beaucoup plus facile de vivre avec les Blancs que ça l'était pour moi.»

Et l'élection de Barack Obama est un signe de ce changement.