Coupable ou non coupable? C'est la question à laquelle Dominique Strauss-Kahn, accusé d'agression sexuelle et de tentative de viol par une employée d'un hôtel de New York, devra répondre lundi à l'occasion d'une audience devant un juge de Manhattan. Une dénégation de culpabilité, à laquelle tout le monde s'attend, ouvrirait une période mêlant guerre juridique et médiatique qui mènerait à un procès dont nous vous présentons les principaux acteurs.

L'ACCUSÉ

Dominique Strauss-Kahn

Le 10 mai dernier, 30 ans jour pour jour après l'élection du socialiste François Mitterrand à la présidence, le quotidien français Libération publie un sondage qui montre que Dominique Strauss-Kahn est le candidat préféré des Français, tant pour la primaire socialiste que pour l'élection présidentielle de 2012. D'où ce titre à la une du quotidien, qui cherche un héritier spirituel à l'ancien président de la République: «DSK, le mieux placé pour succéder à Mitterrand».

Quatre jours plus tard, le candidat virtuel est arrêté à New York. Une femme de chambre de l'hôtel Sofitel a porté plainte contre lui, l'accusant de l'avoir agressée sexuellement. C'est le début d'une chute vertigineuse qui pourrait signifier la fin de la carrière politique de cet homme de 62 ans, qui était depuis novembre 2007 directeur général du Fonds monétaire international.

DSK, comme on le surnomme en France, avait auparavant été ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie du gouvernement de cohabitation de Lionel Jospin, poste qu'il a occupé de 1997 à 1999. En 2007, il a recueilli seulement 20,8% des suffrages des militants socialistes lors de la primaire pour la désignation du candidat à la présidentielle, loin derrière Ségolène Royale.

Son passage à la tête du FMI a été couronné de succès à plusieurs égards. Mais le natif de Neuilly-sur-Seine, qui a passé une partie de son enfance entre le Maroc et Monaco, s'est retrouvé en 2008 au centre d'une affaire qui posait le problème de son rapport aux femmes. Une enquête interne a conclu qu'il n'y avait pas eu d'abus hiérarchique, mais DSK a dû admettre que sa relation avec l'une de ses subordonnées, Piroska Nagy, économiste d'origine hongroise, était une erreur de jugement.

Selon le livre Sexus Politicus, publié en 2006, DSK pratique un «art de la séduction qui confine chez lui à l'obsession». L'ouvrage évoque notamment l'affaire Banon, du nom de la jeune journaliste et romancière française qui soutient que DSK a tenté de la violer lors d'une interview en 2001.

LA PLAIGNANTE

Ophelia

La plaignante se fait appeler Ophelia, un nom qui sonne mieux en anglais que celui dont elle a hérité à sa naissance dans le village guinéen de Tchakulé, il y a 32 ans.

Benjamine d'une famille musulmane de six enfants, mariée à un cousin à l'âge de 15 ans, veuve à 17 ans, Ophelia a quitté son village natal en 1996 pour Conakry, capitale de la Guinée, avec la petite fille issue de son mariage. Deux ans plus tard, munie d'un visa, elle est allée rejoindre à New York une soeur qui y était établie depuis longtemps avec son mari, selon un récit publié par des journalistes guinéens.

Dans une entrevue accordée à CNN, Jeff Shapiro, l'avocat de la plaignante, a présenté une autre version du parcours de sa cliente. Selon lui, la jeune femme est arrivée aux États-Unis en 2004 dans des «circonstances très difficiles» qui lui ont permis d'obtenir l'asile politique et une carte verte.

Une chose ne fait aucun doute, cependant: Ophelia a réussi à décrocher un emploi de femme de chambre il y a trois ans à l'hôtel Sofitel de New York, où ses patrons lui ont décerné une note de 4,5 sur 5, pour son travail et son comportement exemplaires.

Ses voisins du Bronx, l'arrondissement de New York où elle vit avec sa fille aujourd'hui âgée de 15 ans, et ses amis de Harlem ont également vanté son bon caractère. Ils l'ont décrite comme une femme calme, travailleuse et pieuse. Physiquement, elle est grande, élancée et jolie, selon des connaissances.

Les autorités et les médias américains n'ont pas rendu publique l'identité de la plaignante. Il y a une semaine, les avocats de Dominique Strauss-Kahn ont assuré qu'ils détenaient à son sujet des éléments de nature à «ébranler sérieusement» sa crédibilité. Ils n'ont cependant pas précisé la nature de ces informations.

Photo: AFP

Une chose ne fait aucun doute, cependant: Ophelia a réussi à décrocher un emploi de femme de chambre il y a trois ans à l'hôtel Sofitel de New York, où ses patrons lui ont décerné une note de 4,5 sur 5, pour son travail et son comportement exemplaires.

L'ÉPOUSE

Anne Sinclair

Elle était prête à mettre une partie de son immense fortune au service des ambitions présidentielles de Dominique Strauss-Kahn, pour lequel elle avait déjà abandonné sa brillante carrière de journaliste en 1997, six ans après leur mariage.

Ses millions serviront plutôt à financer la défense de son mari ainsi que les conditions de sa liberté surveillée, dont une caution et une garantie totalisant 6 millions de dollars.

«Je ne crois pas une seconde aux accusations qui sont portées contre mon mari. Je ne doute pas que son innocence soit établie», a écrit Anne Sinclair dans un communiqué diffusé au lendemain de l'arrestation de Dominique Strauss-Kahn, avant qu'elle parte pour New York.

Il s'agit d'un triste retour aux sources pour cette femme élégante aux célèbres yeux bleus, qui attirait des millions de téléspectateurs à l'époque où elle réalisait des entrevues politiques sur la chaîne de télévision TF1. C'est en effet à New York qu'elle a vu le jour, il y a 62 ans.

Anne Sinclair doit sa fortune à son grand-père, Paul Rosenberg, marchand d'art et galeriste, célèbre pour avoir représenté Picasso, Braque et Matisse, entre autres, qui s'était réfugié aux États-Unis pour fuir l'avancée des nazis en Europe.

Ce n'est pas la première fois qu'Anne Sinclair se montre solidaire de son mari dans une affaire de nature sexuelle. En octobre 2008, après que le Fonds monétaire international eut annoncé qu'il lançait une enquête sur la relation de DSK avec Piroska Nagy, elle a écrit dans son blogue: «Avant que ne se propagent des rumeurs malveillantes, quelques éléments rapides: chacun sait que ce sont des choses qui peuvent arriver dans la vie de tous les couples; pour ma part, cette aventure d'un soir est désormais derrière nous. Nous avons tourné la page. Nous nous aimons comme au premier jour.»

Photo: AP

Anne Sinclair doit sa fortune à son grand-père, Paul Rosenberg, marchand d'art et galeriste, célèbre pour avoir représenté Picasso, Braque et Matisse, entre autres, qui s'était réfugié aux États-Unis pour fuir l'avancée des nazis en Europe.

LE PROCUREUR

Cyrus Vance

En 1988, Cyrus Vance Jr. quitte New York, sa ville natale, pour échapper à l'ombre de son père, Cyrus Vance, ex-secrétaire d'État américain sous Jimmy Carter. Il s'installe à Seattle, où il fondera en 1995 son propre bureau d'avocats et gagnera un procès retentissant contre le géant aéronautique Boeing.

Fin 2009, cinq ans après son retour à New York et sept ans après la mort de son père, celui que la presse et ses proches collaborateurs surnomment «Cy» est élu à son poste actuel, District Attorney (procureur) dans le comté de New York (Manhattan). Diplômé des universités Yale et Georgetown, marié à Peggy McDonnell, une photographe professionnelle avec laquelle il a eu deux enfants, il succède ainsi à un juriste légendaire, Robert Morgenthau, un de ses anciens patrons, qui s'est retiré à 90 ans après 34 ans comme DA.

En 2011, à 56 ans, Cyrus Vance Jr. hérite du dossier le plus important de sa carrière: c'est lui qui supervisera le procès de Dominique Strauss-Kahn s'il plaide non coupable. Une victoire pourrait assurer sa réélection en 2013. Une défaite pourrait ternir à jamais son curriculum vitae.

Deux causes donnent à cet homme discret et travailleur une réputation de défenseur de la cause des femmes. En 1986, il a obtenu à New York un verdict de culpabilité contre un homme accusé d'avoir traqué et tué son ex-fiancée sur les lieux de son travail. «Cette affaire a fait naître en lui une passion pour les mesures de prévention de la criminalité, en particulier dans le domaine de la violence conjugale», peut-on lire sur son site internet.

En 1995, à Seattle, il a défendu 29 000 employées de Boeing dans un recours collectif contre leur employeur pour discrimination. Il a obtenu pour eux une compensation de 72,5 millions de dollars.

Photo: AFP

En 2011, à 56 ans, Cyrus Vance Jr. hérite du dossier le plus important de sa carrière: c'est lui qui supervisera le procès de Dominique Strauss-Kahn s'il plaide non coupable. Une victoire pourrait assurer sa réélection en 2013. Une défaite pourrait ternir à jamais son curriculum vitae.

LES AVOCATS DE LA DÉFENSE

Benjamin Brafman et William Taylor

L'un est petit et coloré, l'autre est grand et discret: les deux avocats de Dominique Strauss-Kahn sont aux antipodes l'un de l'autre, et ce, à plus d'un égard.

Benjamin Brafman, avocat de New York, est habitué aux procès hautement médiatisés. Il a notamment défendu le producteur de musique et rappeur Sean J. Combs (Puff Daddy), accusé de port d'arme et de corruption. Malgré les nombreux témoins de l'accusation, il a causé la surprise en obtenant l'acquittement de son client.

Me Brafman a aussi représenté un autre rappeur célèbre, Jay-Z, ainsi que le footballeur Plaxico Burress, et fait partie de l'équipe d'avocats de Michael Jackson. Né à Brooklyn il y a 62 ans, diplômé du Brooklyn College et de l'Ohio Northern University, il a commencé sa carrière dans le bureau du procureur de Manhattan, Robert Morgenthau, qui l'a affecté à la lutte contre les criminels à cravate et les organisations mafieuses.

Après avoir quitté le bureau du procureur de Manhattan, il s'est fait connaître en défendant l'ancien chef du clan mafieux Genovese, Vincent (Chin) Gigante.

William Taylor, avocat de Washington, est un habitué des coulisses du pouvoir. Ce n'est pas la première fois que DSK recourt à ses services. Considéré comme l'un des 10 meilleurs pénalistes de la capitale, il a défendu avec succès l'ancien patron du FMI dans l'affaire de l'économiste hongroise.

Alors que Benjamin Brafman prend parfois le ton d'un stand-up comic, métier qu'il a déjà pratiqué, William Taylor fait davantage penser à un professeur de droit, avec sa barbe rassurante et son ton posé. Diplômé des universités de Caroline-du-Nord et de Yale, il a déjà eu pour clients l'un des chefs de cabinet de Bill Clinton et l'ancien président du Comité olympique de Salt Lake City, entre autres.

L'affaire DSK en chiffres

7

Chefs d'accusation

2806

Numéro de la suite du Sofitel de New York où DKS aurait agressé une femme de chambre le 14 mai.

25

Nombre d'années de prison que pourrait purger DSK s'il est reconnu coupable de tous les chefs d'accusation (les peines pour tous les chefs seraient vraisemblablement confondues).

1000$

Taux horaire de chacun des avocats de DSK.

6 000 000$

Caution et garantie que DSK a dû fournir pour être mis en liberté.

200 000$

Somme que devra payer DSK chaque mois pour les gardiens qui le surveillent 24 heures sur 24, de même que pour le système de surveillance vidéo et un bracelet électronique.

50 000$

Loyer mensuel de l'appartement loué par DSK à TriBeCa.

Photo: Reuters

Alors que Benjamin Brafman prend parfois le ton d'un stand-up comic, métier qu'il a déjà pratiqué, William Taylor fait davantage penser à un professeur de droit, avec sa barbe rassurante et son ton posé.