Ils ont un passé sanglant. Ils ont été ennemis jurés. À Lanark Gate, le seul point de passage entre le bastion catholique de Falls Road et celui, protestant, de Shankill Road, dans l'ouest de Belfast, ces anciens paramilitaires s'échangent désormais des étrangers tombés entre leurs mains. Pas des otages. Des touristes.

Ils«C'est notre Checkpoint Charlie», ironise Michael Colbert, directeur de Coiste, un organisme de soutien aux 18000 anciens prisonniers de l'IRA. Lui-même a passé 16 ans derrière les barreaux, pour des «activités variées» au sein du groupe paramilitaire républicain.

«C'est très difficile pour les anciens prisonniers de trouver un emploi. Depuis quelques années, nous avons constaté qu'il y avait de plus en plus de touristes sur Falls Road. Nous avons décidé d'exploiter ce marché.»

M. Colbert était adolescent quand sa maison de Bombay Street a été brûlée, en 1969, au début des troubles. Quarante ans plus tard, l'imposant mur qui s'élève dans cette rue est devenu l'une des plus grandes attractions touristiques de Belfast. Un demi-million de personnes le visitent chaque année. «Les touristes ne viennent pas ici pour pêcher. Ils viennent pour voir les zones de conflit.»

Les ex-paramilitaires n'avaient aucune raison de ne pas profiter de la manne. Du même coup, ils donnent leur version du conflit aux visiteurs. «Ce n'est pas une belle histoire neutre. C'est une histoire racontée d'un point de vue républicain», admet M. Colbert.

La version des guides de Coiste est d'autant plus unidimensionnelle qu'ils ne s'aventurent jamais en territoire ennemi. Trop dangereux pour ces républicains connus - et détestés - des protestants. Si les touristes demandent à voir Shankill Road, on les confie à d'anciens paramilitaires loyalistes, qui se chargent de jouer les guides touristiques de leur côté du mur.

L'échange se fait à Lanark Gate. Côté protestant, des guides comme William «Plum» Smith, ex-membre du Red Hand Commando, qui a purgé une peine de 10 ans pour tentative de meurtre, attendent les «colis».

Autrefois prêts à s'entretuer, ces hommes brassent désormais des affaires ensemble en exploitant les murs que leur propre lutte armée a contribué à faire ériger.

M. Smith n'est pas pressé de voir tomber ces murs. «Les gens en sont venus à les accepter comme faisant partie de leur vie quotidienne. Ceux qui ont moins de 40 ans ne se souviennent pas du temps où il n'y en avait pas. Ils font partie des meubles. Et il ne faut pas oublier que c'est la plus grosse attraction de la ville.»

Pour cet ancien terroriste recyclé en guide touristique, abattre les murs, ce serait tuer la poule aux oeufs d'or.