Dimanche, la Tunisie est allée aux urnes pour choisir un président de manière démocratique. Une première. Les résultats officiels ont été annoncés aujourd'hui, et le second tour opposera deux Tunisie.

Dans le coin gauche, un ancien ministre du président qui a donné à la Tunisie son indépendance en 1957. Dans le coin droit, un militant des droits de la personne qui a gouverné le pays après la révolution de 2011.

Le premier aime les complets et croit que l'État tunisien a besoin de prestige. Le second refuse de porter une cravate.

Le premier dit haut et fort son dégoût des islamistes, le deuxième leur a tendu la main après la chute de Zine El Abidine Ben Ali.

Le premier, c'est Béji Caïd Essebsi, 87 ans, presque 88. Ancien ministre de Habib Bourguiba et député au début du règne de Ben Ali, il est à la tête du parti qui a remporté le plus de votes aux élections législatives du 26 octobre dernier, Nidaa Tounès. Selon les résultats officiels, M. Essebi a obtenu 39,46 % des voix (moins que présageaient des sondages à la sortie des urnes publiés hier, qui lui accordaient entre 42 et 48 % des votes). 

Son principal rival, Moncef Marzouki, 69 ans, a récolté 33,43 % des voix au premier tour, six points derrière Essebsi. Médecin dissident, exilé en France où il a continué son combat contre Ben Ali, il est rentré en Tunisie après la révolution. En travaillant en collaboration avec le parti islamiste Ennahda, il est devenu président du pays en décembre 2011.

Toujours selon les sondages officieux, M. Marzouki devait amassé entre 27 % et 33 % des votes lors du premier tour. Les deux hommes ont supplanté leurs 25 concurrents et s'affronteront à nouveau lors d'un second tour, le 28 décembre.

Tunisie polarisée

Le politologue Larbi Chouikha, joint à Tunis hier, craint que ce vote polarise la Tunisie. D'un côté, une Tunisie moderniste, laïque; de l'autre, une Tunisie attachée à son identité arabo-musulmane.

« Les [deux candidats restants] sont deux figures, deux styles, deux itinéraires et deux visions de la Tunisie qui s'opposent. Essebsi incarne les valeurs de la Tunisie indépendante, très liées à Habib Bourguiba. Marzouki, lui, se pose comme l'homme de la révolution qui s'oppose au retour de l'ancien système », note le politologue. Même si Ennahda n'a pas soutenu ouvertement de candidat au cours de ce premier tour, Larbi Chouikha est convaincu que leurs partisans ont jeté leur dévolu sur Marzouki. « Sinon, comment expliquer son score alors que son parti politique n'a reçu que 3 ou 4 % aux élections législatives? »

Fiel électoral

En apprenant les résultats provisoires, les candidats n'ont pas attendu avant de s'attaquer, hier. Béji Caïd Essebsi a qualifié son rival de « candidat des islamistes et des salafistes djihadistes ». Moncef Marzouki a maintes fois affirmé qu'un vote pour M. Essebsi est un vote pour l'ancien régime, qui avait peu d'égards pour son opposition ou pour les droits de la personne.

Les deux candidats auront un peu plus d'un mois pour convaincre l'électorat de leur accorder le poste de président. Selon le système parlementaire mis en place en Tunisie après la révolution, le président est moins puissant que le premier ministre, explique M. Chouikha, mais contrôle néanmoins la diplomatie, les services de sécurité et nomme les hauts fonctionnaires de l'État.

Les jeunes moins présents

Si les résultats officiels du vote n'étaient pas connus hier, le taux de participation a été annoncé. En tout, 64,6%des 5,3 millions d'électeurs se sont rendus aux urnes, soit le plus faible taux depuis la révolution de 2011. « Je suis allée voter et il n'y avait pas foule. Après 10 minutes, je rentrais à la maison, a dit à La Presse Zakia Hamda, galeriste et politicienne progressiste. Pour un pays nouvellement démocratique, c'est surprenant. Ce sont les jeunes qui n'ont pas voté. C'est vrai que voter pour un monsieur de 87 ans, ce n'est pas très inspirant. »