Détracteurs et partisans des islamistes au pouvoir préparaient des manifestations rivales mardi, sous le signe de la crise politique qui mine le pays, à l'occasion de la journée célébrant les acquis des femmes tunisiennes, uniques dans le monde arabe.

Les organisateurs de la manifestation anti-islamiste - associations, partis politiques et le puissant syndicat UGTT - ont largement repris les revendications d'opposants réclamant la démission du gouvernement dirigé par le parti Ennahda depuis l'assassinat le 25 juillet du député Mohamed Brahmi, attribué à la mouvance jihadiste.

La marche vise aussi à dénoncer les atteintes aux droits des femmes dont les islamistes sont accusés, alors que la Tunisie célèbre mardi l'adoption en 1956 du code du statut personnel octroyant aux Tunisiennes des droits sans pareil dans le monde arabe, sans pour autant consacrer l'égalité.

«Ce sera une manifestation historique étant donné les circonstances difficiles que le pays traverse: les assassinats politiques, le terrorisme et les tentatives de faire reculer les droits des femmes», a jugé Najoua Makhlouf, une responsable de l'UGTT.

«Ce ne sera pas une fête, mais une marche contre le terrorisme et les tentatives d'Ennahda de s'en prendre aux acquis des femmes», a martelé aussi Amel Radhouani, de l'association Femmes Libres.

Selon l'opposition, Ennahda fait preuve de laxisme lorsqu'il s'agit de lutter contre les imams appelant à la polygamie et organisant des mariages coutumiers, parfois avec des mineurs, ce qui est interdit en Tunisie depuis 1956.

En outre, le projet de Constitution ne garantit pas clairement l'égalité des sexes et Ennahda fait l'objet de toutes les suspicions depuis qu'il a tenté en 2012 d'y inscrire le principe de «complémentarité» des hommes et des femmes.

Le parti islamiste, qui a démenti à de multiples reprises vouloir s'en prendre aux acquis des Tunisiennes, a prévu son propre rassemblement mardi sous le slogan «les femmes de Tunisie, piliers de la transition démocratique et de l'unité nationale».

Ce thème rappelle la position des islamistes dans la crise actuelle, ces derniers insistant sur un maintien des «institutions transitoires» issues d'élections en octobre 2011 et toujours en place faute de consensus sur la Constitution.

Les deux camps espèrent remobiliser leurs troupes, après avoir chacun réussi début août à réunir des dizaines de milliers de partisans. La Tunisie a ensuite connu quatre jours de calme à l'occasion des festivités de la fin du ramadan.

Sur le terrain politique, aucune issue à la crise ne se dessinait malgré l'annonce du gel des travaux de l'ANC par son président Mustapha Ben Jaafar le 6 août pour forcer les deux camps au dialogue.

Le groupe parlementaire du parti islamiste Ennahda (89 députés sur 217) et quatre petits partis --dont le Congrès pour la République du président Moncef Marzouki-- ont même durci leur position en appelant à la reprise mercredi des travaux de l'ANC.

Le chef d'Ennahda Rached Ghannouchi et celui de l'UGTT, Houcine Abassi, se sont néanmoins retrouvés lundi après-midi pour des pourparlers, selon un journaliste de l'AFP.

Jusqu'à présent, Ennahda reste sur sa proposition d'élargir le gouvernement à d'autres forces politiques et d'organiser des élections en décembre.

Une coalition d'opposants allant de l'extrême-gauche au centre-droit continue de militer pour un cabinet de technocrates et la dissolution de l'ANC.

Le puissant syndicat UGTT --capable de paralyser le pays en cas de grève générale-- et le patronat Utica insistent sur une position médiane: un gouvernement de technocrates et le maintien de la Constituante.

Un premier gouvernement dirigé par Ennahda avait déjà dû démissionner après l'assassinat d'un autre opposant, Chokri Belaïd, le 6 février.

Le gouvernement tunisien est avant tout accusé d'avoir failli sur le plan sécuritaire, l'essor de la mouvance salafiste déstabilisant régulièrement le pays depuis la révolution de janvier 2011.

Ainsi, quatre jours après l'assassinat de Brahmi, un groupe suspecté de liens avec Al-Qaïda et pourchassé par l'armée depuis décembre a sauvagement tué huit militaires au mont Chaambi à la frontière algérienne.

Cette embuscade a déclenché une vaste opération «aérienne et terrestre» le 1er août. Les bombardements du massif montagneux se poursuivaient lundi sans que les autorités dressent de bilan après près de deux semaines de manoeuvres.