L'assassinat du député Mohamed Brahmi le 25 juillet a ravivé des tensions déjà très vives en Tunisie. Des dizaines de milliers de manifestants ont réclamé la démission du gouvernement. La Pressea interviewé Jabeur Fathally, professeur en droit civil et spécialiste du monde arabe à l'Université d'Ottawa, afin de mieux comprendre la crise tunisienne.

Q Un scénario "égyptien" est-il envisageable en Tunisie? Les militaires peuvent-ils prendre le pouvoir à la place du gouvernement islamiste actuellement en place?

R L'armée tunisienne n'est pas très impliquée dans le champ politique. Et même si l'opposition a bien un soutien populaire, cet appui reste faible. Ce n'est pas le cas de l'opposition égyptienne, qui a reçu un grand soutien populaire. L'armée a aussi l'appui de la population en Égypte. La Tunisie n'est pas dans cette situation.

Q Que reproche-t-on au parti islamiste Ennahda?

R On lui fait les mêmes reproches que ceux adressés à M. Morsi en Égypte. C'est-à-dire que les islamistes en Tunisie n'ont pas su répondre aux attentes des Tunisiens après la révolution de 2011. Ils ont pris des décisions partisanes, ils ont nommé des personnes incompétentes dans les postes-clés. Les gens s'attendaient à ce que les islamistes donnent l'exemple d'une bonne gouvernance, mais ils ont presque reproduit les pratiques de l'ancien régime. Les problèmes économiques et sociaux se sont aussi aggravés sous le règne des islamistes.

Q Plusieurs accusent les islamistes d'avoir fait assassiner Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi. Qu'en pensez-vous ?

R Le parti Ennahda n'a pas recours à ce type de violence. Il n'a pas, non plus, intérêt à voir l'opposition se rallier contre lui. Mais les groupes djihadistes n'ont pas ces préoccupations et on sait maintenant que ce sont des djihadistes qui ont commis ces crimes. Al-Qaïda est derrière ça.

Q Le gouvernement islamiste vient d'annoncer la suspension des travaux de l'Assemblée nationale. Que va-t-il se passer?

R Pour le moment, le parti au pouvoir est très affaibli, mais il ne va pas lâcher prise. Il va peut-être accepter que le premier ministre soit un technocrate qui aurait des affinités avec la mouvance islamiste. Mais les Tunisiens n'ont pas intérêt à ce que l'Assemblée constituante soit dissoute, malgré tous ses défauts. C'est la seule institution légitime présentement en Tunisie.

Q De nouvelles élections pourront-elles être organisées dans un avenir rapproché?

R Je ne pense pas qu'il y aura des élections en 2013, techniquement, c'est impossible. Elles risquent plutôt d'avoir lieu à partir de mars 2014. Peu importe qui va les gagner, nous sommes encore dans l'apprentissage de la démocratie. Les Arabes ne sont pas prêts pour la démocratie dans son acceptation occidentale. Le processus va prendre des années, c'est un accouchement difficile.

Ce que je crains, c'est qu'il y ait un glissement vers la guerre civile. La ligne est très fine entre les tensions politiques et la guerre civile. Et je crains aussi un durcissement du côté des islamistes. Ils pourraient dire: regardez, nous avons essayé la démocratie et ça ne fonctionne pas, on a tout fait pour se débarrasser de nous. Et là, certains pourraient reprendre le maquis et l'idéologie violente.