Un rappeur tunisien condamné à deux ans de prison ferme pour une chanson insultant la police a vu sa peine réduite à du sursis en appel et a été libéré mardi, une victoire pour la liberté d'expression, selon ses partisans.

Le chanteur Weld El 15, de son vrai nom Ala Yaâcoubi, avait été condamné à deux ans de prison d'abord par contumace en mars puis en sa présence le 13 juin pour sa chanson Boulicia Kleb (Les policiers sont des chiens), entraînant son incarcération.

«Je suis content de sortir de la prison et je vais reprendre mes activités artistiques et musicales», a-t-il dit à l'AFP à sa sortie de la prison de la Mornaguia, près de Tunis.

«Si j'ai été libéré c'est grâce au soutien, à mes amis et à la pression» exercée sur les autorités tunisiennes, a estimé le jeune homme de 25 ans qui semblait amaigri et pâle.

M. Yaâcoubi a été jugé en appel la semaine dernière lors d'un procès organisé en un temps record, et la cour a réduit mardi sa peine à six mois avec sursis, permettant sa libération.

Pour ses partisans, la justice a reconnu la liberté d'expression de l'artiste, alors que nombre de défenseurs des droits de l'Homme en Tunisie comme en France militaient pour sa libération.

«C'est une victoire pour la liberté, la démocratie, pour Weld El 15 qui n'a fait qu'un travail artistique», a réagi son avocat Ghazi Mrabet.

«Après la grande vague d'inquiétude qui nous a secoués, le verdict d'aujourd'hui est un soulagement, il y a une orientation rassurante», a souligné Thameur Mekki, qui préside le comité de soutien du rappeur.

La condamnation du rappeur en juin avait déclenché des heurts entre policiers agressifs et partisans du chanteur. À la suite de ces échauffourées, deux rappeurs et une journaliste franco-tunisienne seront jugés le 7 octobre.

La peine très sévère infligée en première instance avait été critiquée par l'opposition mais aussi par des responsables du gouvernement tels le ministre de la Culture et celui des Droits de l'Homme.

À l'inverse, le chef du gouvernement, l'islamiste Ali Larayedh, un ancien ministre de l'Intérieur, avait estimé lundi que cette affaire ne relevait pas de la liberté d'expression.

«Il n'est pas jugé sur la base de son art ou de la liberté d'expression mais pour avoir appelé à la haine, au meurtre de policiers et magistrats. Il a fait des gestes tout ce qu'il y a de plus obscènes», a-t-il estimé dans un entretien à la chaîne d'information en arabe France 24.

Dans sa chanson, le rappeur dit notamment vouloir «égorger un policier au lieu d'un mouton» lors d'une fête religieuse.

Le parcours judiciaire du Weld EL 15 n'est pas sans rappeler celui de trois militantes européennes du mouvement féministe seins nus Femen libérées la semaine dernière après avoir vu une peine de prison ferme transformée en sursis en appel, sur fond de forte mobilisation en leur faveur.

La justice et le gouvernement dirigé par les islamistes d'Ennahda sont régulièrement accusés de chercher à restreindre la liberté d'expression acquise après la chute du régime de Zine El Abidine Ben Ali en janvier 2011.

Ainsi, un militant athée Jabbeur Mejri a été condamné en mars 2012 à sept ans et demi de prison pour avoir publié sur sa page Facebook des caricatures du prophète Mahomet. Un autre jeune, Ghazi Beji, condamné à la même peine, a obtenu l'asile politique en France.

Par ailleurs, Amina Sbouï, une Tunisienne se revendiquant de Femen, est en détention depuis la mi-mai pour avoir écrit «Femen» sur le muret d'un cimetière en protestation contre un rassemblement salafiste.

Elle attend toujours de savoir si elle sera inculpée pour profanation de sépulture et atteinte aux bonnes moeurs, délits passibles de deux ans et six mois de prison.

Ces peines peuvent être considérablement alourdies si Amina est reconnue coupable d'avoir agi en bande organisée.

Dans ce contexte, la Fédération internationale des Ligues des droits de l'Homme et Human Rights Watch ont demandé au président français François Hollande, attendu à Tunis jeudi et vendredi, d'insister sur la liberté d'expression lors de ses entrevues en Tunisie.