Les magistrats et avocats tunisiens se sont mis en grève jeudi après le meurtre de l'opposant Chokri Belaïd, lui-même un avocat, criant leur colère contre des tentatives de mainmise du pouvoir dirigé par les islamistes d'Ennahda.

Hommes et femmes en robes noires ont chanté à tue-tête l'hymne national avant de crier leur colère après l'assassinat mercredi matin de Belaïd, un critique virulent des islamistes.

«Aux terroristes qui ont tué Chokri, nous leur disons que nous n'avons pas peur», martelait le bâtonnier Chaouki Ettabib dans le hall du tribunal de première instance de Tunis, sous les applaudissements de ses collègues en grève.

Discours enflammés, tristesse et deuil, mais aussi une revendication principale : «Le peuple veut une magistrature indépendante» scandaient-ils en leitmotiv.

«Le secteur judiciaire vit un malaise profond. Depuis la révolution du 14 janvier 2011, le pouvoir fait l'impasse sur les réformes nécessaires pour garantir l'indépendance de la justice», explique à l'AFP l'avocat et militant des droits de l'homme Mokhtar Trifi.

Et d'accuser le gouvernement dominé par le parti islamiste Ennahda de «vouloir domestiquer la justice, l'instrumentaliser» comme au temps du président déchu Zine el Abidine Ben Ali.

«L'indépendance de la magistrature apparaît comme un mirage», constate l'avocate Imen Ayat. Pour elle, le ministre de la Justice, l'islamiste Noureddine Bhiri «ne fait que servir les intérêts de son parti».

«Ce qui se passe maintenant est pire que sous le régime Ben Ali», renchérit son collègue Anas Ben Malek.

Brassard rouge au bras, symbole de la contestation, la présidente de l'Association des magistrats (ATM) Kalthoum Kanou, une juge longtemps persécutée sous Ben Ali, a affirmé qu'«un grand nombre de juges sont indépendants, contrairement au parquet qui est sous contrôle» de l'exécutif.

Mais «certains juges parmi ceux qui ont servi l'ancien régime ont reçu des promotions» affirme-t-elle.

La grève a été décrétée pour jeudi et vendredi en réaction à l'assassinat de Chokri Belaïd à l'appel du Conseil de l'Ordre des avocats, de l'ATM et du syndicat des fonctionnaires du parquet.

«Je sais qu'il n'y a pas de volonté sérieuse du gouvernement de mettre en place une instance indépendante, mais ces grèves ne vont rien arranger», se défend un juge parlant à l'AFP sous la couverture de l'anonymat et qui a refusé de suivre le mouvement de grève avec une minorité de collègue.

«Tout pouvoir exécutif veut dominer la magistrature», ajoute-t-il fataliste.

Les tribunaux tournent au ralenti en Tunisie et nombre de dossiers sensibles comme les procès dans les affaires de corruption sont systématiquement reportés.

La promulgation d'une loi portant création d'une instance indépendante de la magistrature est sans cesse retardée à l'Assemblée constituante.

Les avocats, un corps en avant-garde de la révolution de 2011, ont aussi manifesté depuis mercredi dans les régions contre la violence politique et la mainmise du pouvoir sur leur secteur.