Les Tunisiens, et surtout les Tunisiennes, ne décolèrent pas. Violée par deux policiers dans une banlieue de Tunis, une jeune femme risque maintenant la prison. Son crime? S'être retrouvée dans une «position immorale» avec un ami.

L'affaire a secoué les organisations féministes du pays. Une campagne a été lancée sur les médias sociaux. Les manifestants ont été invités à brandir des pancartes avec le slogan «Nous nous aimons! Violez-nous» devant le tribunal de Tunis le 2 octobre prochain. La jeune femme et son ami, lui aussi accusé d'atteinte à la pudeur, seront entendus par le juge d'instruction ce jour-là. Après l'audience, celui-ci décidera si l'accusation est fondée et s'il y a lieu d'aller de l'avant avec un procès.

L'affaire a commencé il y a quelques semaines. Le matin du 4 septembre, vers 1h, les deux jeunes Tunisiens étaient seuls dans une voiture. Ils ont été interpellés par trois policiers.

Selon l'une des avocates du couple, Me Emna Zahrouni, un des policiers aurait alors tenté de faire chanter l'homme en le menaçant de porter des accusations d'atteinte à la pudeur s'il ne payait pas. Pendant que les deux hommes se trouvaient au guichet automatique, les deux autres policiers ont violé la femme.

Les trois policiers ont été incarcérés, même s'ils n'ont pas encore été formellement condamnés.

Pour Me Emna Zahrouni, la convocation devant le juge, tombée hier, est une manoeuvre d'intimidation. «À l'Association des femmes démocrates, nous voyons beaucoup de femmes victimes de viol de policiers, a-t-elle dit dans une entrevue téléphonique. Ce sont souvent des femmes de la rue et elles ont trop peur des conséquences pour porter plainte. Cette femme est très courageuse.»

Les deux jeunes risquent jusqu'à six mois de prison s'ils sont reconnus coupables. L'avocate s'est cependant montrée optimiste que les accusations tombent.

La répression des islamistes

Même si la loi existe depuis de nombreuses années, les accusations d'atteinte à la pudeur sont extrêmement rares. Les organisations féministes y voient une nouvelle preuve de la répression des femmes depuis l'arrivée au pouvoir des islamistes d'Ennahda. Un représentant du ministère de la Justice, sous le couvert de l'anonymat, a défendu la décision dans un entretien avec l'AFP en disant que «les deux agents ont commis un crime, mais ça n'empêche pas qu'elle était dans une position illégale».

Les ONG dénoncent également ce qu'elles décrivent comme un harcèlement de la police envers les femmes, dans un pays qui se targuait il n'y a pas si longtemps d'être le précurseur du droit des femmes dans le monde arabo-musulman.

«On commence à sentir l'arrivée au pouvoir des islamistes. Cette histoire est absurde», a réagi Noomane Raboudi, politologue et islamologue d'origine tunisienne. Le professeur d'études politiques à l'Université d'Ottawa est persuadé que le parti Ennahda va continuer à tester les limites des droits des femmes, soutenu par une frange de la société en quête identitaire. «La laïcité a été imposée un peu par la force, note-t-il. Le modèle occidental, colonial, a été combattu pour des raisons politiques, mais pas culturelles.» Depuis les soulèvements, il y a une volonté de se redéfinir selon un autre cadre, dit-il.

Lundi dernier, un projet de texte proposé par les islamistes a été abandonné. Il proposait d'inscrire «complémentarité» des sexes dans la Constitution plutôt qu'égalité.