Accueilli dimanche à Tunis par des milliers de partisans après un exil de 20 ans, l'islamiste Rached Ghannouchi a annoncé qu'il ne serait pas candidat à la première élection présidentielle de la Tunisie de l'après Ben Ali, l'ex-président qui avait laminé son mouvement.

«Je ne vais pas me présenter à la présidentielle, et il n'y aura aucun (candidat) membre d'Ennahda», a déclaré le dirigeant du mouvement islamiste, dans un entretien à l'AFP au domicile de son frère dans le nord de Tunis.

Il est en revanche resté vague quant à une participation d'Ennahda aux législatives, qui doivent théoriquement être organisées, comme la présidentielle, dans un délai d'environ six mois.

«Après 20 ans d'absence, mon parti n'est pas prêt à jouer un rôle sur la scène politique, la priorité est de reconstruire Ennahda», a-t-il expliqué.

Sa formation, interdite sous le règne de Ben Ali, a été écrasée dans les années 90, quelque 30 000 de ses membres ou sympathisants supposés arrêtés, tandis que des centaines d'autres étaient contraints à l'exil.

Il n'a pas exclu toutefois une éventuelle participation à l'équipe de transition qui s'est mise en place après la fuite du président Zine El Abidine Ben Ali le 14 janvier, à l'issue de quatre semaines d'une révolte sans précédent à laquelle les islamistes ont surtout assisté en spectateurs.

«Si nous sentons que le gouvernement satisfait les attentes de ceux qui ont pris part à cette révolution, alors pourquoi pas?», a-t-il commenté.

C'est la première fois que le leader islamiste adresse, depuis le sol tunisien, un message d'ouverture au gouvernement de transition, qui devra répondre dans les jours à venir à une demande de légalisation d'Ennahda.

Depuis son exil londonien, le vieux leader, 69 ans, était resté très prudent, laissant le plus souvent le soin à ses porte-parole en France ou à Tunis de porter son message.

À l'aéroport de Tunis, Rached Ghannouchi a été accueilli par une foule compacte qui chantait l'hymne national et criait sa «fierté islamique» retrouvée.

«Allah Akbar» (Dieu est le plus grand), a-t-il lancé à la foule, tout sourire, les bras tendus vers le ciel, avant d'être emporté par une vague de militants, tandis que des défenseurs de la laïcité exprimaient leurs inquiétudes face à un retour de «l'obscurantisme».

Dimanche matin, Ghannouchi avait pourtant tenu des propos rassurants: «la charia (la loi islamique) n'a pas sa place en Tunisie» et «la peur est uniquement basée sur l'ignorance» -- qu'il impute à la politique de diabolisation de son mouvement par Ben Ali.

Rached Ghannouchi a fondé en 1981 Ennahda (Renaissance) avec des intellectuels inspirés par les Frères musulmans égyptiens. Il dit aujourd'hui représenter un islam modéré proche de l'AKP turc.

Toléré au début de l'ère Ben Ali en 1987, son mouvement avait été réprimé après les législatives de 1989, où les listes qu'il soutenait avaient recueilli au moins 17% des suffrages.

Ghannouchi avait alors quitté la Tunisie pour l'Algérie, puis Londres. En 1992, il avait été condamné par contumace à la prison à perpétuité pour un complot contre le président.

À peine sur le sol tunisien, la signification de son retour fait débat.

Pour Mohammed Habib Azizi, professeur d'histoire à l'université de Tunis,  «ce qui s'est passé en Tunisie ne peut en aucun cas être considéré comme l'oeuvre des islamistes, des nationalistes ou des communistes», dit-il à l'AFP.

À l'aéroport, un syndicaliste de 37 ans, Mohammed Mahfoud, avait en revanche confectionné une pancarte sur la «contribution» d'Ennahda à la «lutte contre la dictature», avec le nombre de prisonniers, d'exilés et de «martyrs».