Il y avait deux jours que je n'étais pas retourné dans l'autre New York, celui qui est ou était privé d'électricité depuis lundi soir, et où je vis en temps normal. Hier matin, en quittant le confort relatif de mon hôtel situé sur la 44e Rue, je ne m'attendais pas à être aussi déçu à la fin de ma visite.

La veille au soir, en marchant sur la 42e Rue, aussi illuminée et achalandée qu'à l'habitude, j'avais entraperçu ce New York plongé dans le noir de la 39e Rue jusqu'au bout de Manhattan, à l'exception de Battery Park City. Un New York vaguement menaçant avec ses avenues sombres, ses immeubles aveugles, ses trottoirs vides.

Je n'étais évidemment pas le seul réfugié de ce New York. Au lendemain du passage de l'ouragan Sandy, des milliers de New-Yorkais ont pris d'assaut les hôtels, les restaurants et les cafés du centre de Manhattan, cherchant un endroit où dormir au chaud, manger un repas convenable ou recharger leurs appareils électroniques.

Hier matin, j'ai rencontré l'un de ces New-Yorkais dans le lobby d'une succursale bancaire qui avait mis des prises électriques à la disposition de tous ceux qui en avaient besoin. Jean-Philippe Panier, un Belge d'origine, vit sur la 35e Rue et travaille à Long Island.

«C'est un inconvénient mais ça pourrait être pire», m'a-t-il dit en faisant allusion à la panne d'électricité. «Je tente de dormir et de lire le plus possible. Je suis complètement coupé du monde extérieur», a-t-il ajouté en jetant un coup d'oeil à son ordinateur portable, dont la pile était en train de se recharger.

Non loin de lui, Debra Guzman, trouvait que la panne d'électricité était bien plus qu'un inconvénient. Elle vit dans le même immeuble que sa mère sur l'Avenue D, dans le quartier East Village, où Sandy a causé des inondations graves.

«Les deux premiers jours après la tempête ont été effrayants», a-t-elle dit en branchant son téléphone cellulaire. «Des gens se sont fait voler de l'argent ou de la nourriture en montant les escaliers dans le noir. Heureusement, des résidants ont mis sur pied une patrouille pour assurer un semblant de sécurité.»

Dans le quartier East Village, les commerçants de l'Avenue C s'affairaient hier à nettoyer leurs locaux ou à pomper l'eau de leur sous-sol inondé. Devant l'immeuble de 27 étages où je vis en temps normal, un attroupement s'était formé autour d'un camion de Verizon Wireless, le fournisseur de téléphonie cellulaire. Les gens rechargeaient leurs téléphones sur des prises électriques installées sur des tables.

Parmi eux, j'ai reconnu Judy, une voisine. «Ça va?» lui ai-je demandé.

«Pas du tout, a-t-elle répondu sur un ton indigné. Des gens laissent leurs chiens faire leurs besoins dans les escaliers. Quelqu'un s'est cassé le cou en glissant sur une flaque de pisse!»

«Heureusement, l'électricité reviendra sous peu», lui ai-je dit quelque six heures avant que l'électricité ne retourne à East Village.

«Pas chez nous! s'est-elle exclamée. On nous a dit qu'il faudra au moins une autre semaine avant que l'électricité ne soit rétablie dans l'immeuble. L'inondation du sous-sol a endommagé les circuits électriques.»

Une semaine... Il y a pire, bien sûr, à New York. Dans certains quartiers de Queens, de Brooklyn ou de Staten Island, des gens ont perdu leurs maisons et même des êtres chers. Ils peuvent difficilement imaginer qu'un autre New York vit aujourd'hui comme si Sandy avait frappé une autre ville.