Le rappel à l'ordre des États-Unis, qui ont réclamé vendredi à l'ONU une « pleine application des sanctions » contre la Corée du Nord, illustre leur difficulté à obtenir de réelles avancées sur la dénucléarisation, plus d'un mois après le sommet Trump-Kim.

Le 12 juin à Singapour, dans sa déclaration commune historique avec Donald Trump, le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un a « réaffirmé son engagement » en faveur d'une « dénucléarisation complète de la péninsule coréenne ». Mais au-delà de cette déclaration d'intention, le calendrier et les modalités du processus restent entièrement à négocier.

À l'époque, l'administration américaine insistait sur « l'urgence » de la dénucléarisation, censée débuter « très rapidement ». « L'essentiel du désarmement » doit être achevé d'ici fin 2020, au terme du premier mandat de Donald Trump, avait estimé le secrétaire d'État Mike Pompeo, chargé de mettre en musique la déclaration de Singapour.

Quarante jours et une visite infructueuse du chef de la diplomatie américaine à Pyongyang plus tard, le ton a nettement changé.

« Nous ne sommes pas pressés », « il n'y a pas de date butoir », a assuré cette semaine le président des États-Unis.

Interrogée sur cette évolution, la porte-parole du département d'État Heather Nauert s'est voulue rassurante. « Nos équipes travaillent très dur, tous les jours, sur ce sujet », mais « nous avions prévenu qu'il restait encore beaucoup à faire », a-t-elle expliqué, tandis que Donald Trump et Mike Pompeo continuent d'afficher leur confiance.

« Plan B »

Pour plusieurs experts qui avaient mis en garde contre le mirage d'un processus mené tambour battant, ce retour à la réalité est une bonne nouvelle.

« Pour réussir, les négociations ont besoin de temps », « des mois sinon des années », résume Abraham Denmark, du think tank Wilson Center, rappelant qu'une « dénucléarisation complète et vérifiée peut prendre jusqu'à 15 ans » selon les estimations de certains spécialistes.

Après l'embellie fulgurante des six derniers mois, place donc au temps long.

Mais nombre d'observateurs s'inquiètent aussi de la perte de l'élan pris à Singapour et de l'absence d'avancées.

Même la restitution par le régime nord-coréen des dépouilles de soldats américains morts pendant la guerre de Corée (1950-53), annoncée comme imminente le 12 juin, s'avère plus compliquée à obtenir - Mike Pompeo l'espère maintenant « dans les toutes prochaines semaines ».

À ce stade, les seuls résultats concrets du rapprochement entre Washington et Pyongyang sont la suspension des essais nucléaires et balistiques nord-coréens et celle, côté américain, des manoeuvres militaires avec la Corée du Sud, vues comme une « provocation » par le Nord. Bref, le « double gel » longtemps refusé par les États-Unis, et des gestes qui restent réversibles à tout moment.

« Si notre objectif reste le démantèlement complet, vérifiable et irréversible du programme nucléaire nord-coréen », réclamé dans les résolutions de l'ONU, « nous ne sommes pas en train d'y parvenir », s'alarme Sue Mi Terry, du Center for Strategic and International Studies, depuis le forum sur la sécurité d'Aspen, au Colorado. Selon elle, comme pour d'autres observateurs, « non seulement ils ne sont pas en train de renoncer à leur programme d'armes nucléaires », mais « ils continuent de travailler pour le faire progresser ».

Critiquée pour n'avoir pas obtenu l'inscription noir sur blanc de cet objectif-clé dans la déclaration de Singapour, l'administration Trump assure que les négociations progressent en vue d'une dénucléarisation « définitive et entièrement vérifiée ».

Mais la troisième visite de Mike Pompeo en Corée du Nord, début juillet, « s'est très mal passée selon tous les comptes rendus, hormis le sien », déplorent Jeffrey Bader et Ryan Hass dans un article de la Brookings Institution. Selon ces experts, le problème est que Donald Trump a déjà « gâché l'essentiel des moyens de pression » pour tordre le bras à Kim Jong-un.

Car la campagne internationale de « pression maximale », faite de sanctions draconiennes et d'isolement diplomatique, que Washington avait réussi à mettre en place contre Pyongyang est en train de se déliter. « Les sanctions se relâchent » puisque « la Chine ne les applique plus vraiment » et la Russie freine aussi, prévient Sue Mi Terry.

D'où le déplacement de Mike Pompeo vendredi à l'ONU à New York, pour condamner le contournement des sanctions et demander à la communauté internationale de maintenir la pression. Sera-t-il entendu ? La « pression maximale » sera difficile à remettre en place en l'absence de nouvelles « provocations » nord-coréennes.

« Nous n'avons pas vraiment de plan B », s'inquiète Sue Mi Terry, « il nous en faut un en cas d'échec » des négociations.