Washington voyait vendredi la victoire de sa stratégie de « pression maximum » sur le régime nord-coréen derrière l'annonce d'un sommet historique entre Donald Trump et Kim Jong-un qui s'est engagé à oeuvrer à la « dénucléarisation » de la péninsule coréenne, une première.

Établie par l'administration Trump à coup de très sévères sanctions économiques, la stratégie d'isolement de la Corée du Nord « fonctionne », a déclaré le vice-président américain.

Mike Pence a martelé que ces sanctions seraient maintenues « jusqu'à ce que la Corée du Nord prenne des mesures concrètes, permanentes et vérifiables pour mettre fin à son programme nucléaire ».

La rapidité avec laquelle M. Trump a accepté l'offre du dirigeant nord-coréen, faite personnellement jeudi par l'intermédiaire d'un haut-responsable sud-coréen qui venait de rencontrer Kim Jong-un, a pris de court jusqu'au chef de sa diplomatie Rex Tillerson, en déplacement en Afrique.

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« Maintenant, il faut s'accorder sur le moment de leur première rencontre et cela prendra des semaines avant que tout soit réglé », a précisé M. Tillerson à Djibouti.

Aucun détail n'a filtré sur ce qui serait le premier sommet entre un président américain en exercice et un dirigeant de la Corée du Nord, mené d'une main de fer par la dynastie Kim depuis l'arrêt des hostilités sur la péninsule en 1953.

La rencontre devrait avoir lieu « d'ici fin mai » selon Chung Eui-yong, conseiller national sud-coréen à la Sécurité. Le lieu et les modalités exactes restent à déterminer.

« Intentions positives » 

L'annonce spectaculaire d'un sommet - quand les deux dirigeants comparaient encore récemment la taille de leurs « boutons nucléaires » - a été saluée avec prudence de l'Union européenne à la Chine.

Seul allié de poids de Pyongyang, tenu à la marge de cette annonce historique, le président chinois Xi Jinping s'est directement entretenu vendredi par téléphone avec Donald Trump, saluant ses « intentions positives » tout en l'exhortant à « dialoguer au plus vite » avec la Corée du Nord. Le président chinois a toutefois appelé les deux parties à s'abstenir « de toute action » pouvant « troubler la détente actuelle », selon l'agence Chine nouvelle.

Moscou a évoqué « un pas dans la bonne direction » tandis que Bruxelles y voit « un développement positif », la chancelière allemande Angela Merkel parlant d'« une lueur d'espoir ». Le président français Emmanuel Macron s'est également entretenu avec son homologue américain, plaidant, par téléphone, pour un « dialogue exigeant ».

Le chef de l'ONU Antonio Guterres a lui applaudi le sens du « leadership et la vision de toutes les parties concernées ».

L'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) a souhaité que cette annonce débouche sur des « progrès concrets » dans le dossier nucléaire et sur une possible reprise de ses inspections en Corée du Nord.

Vivant sous la menace directe de la puissance de frappe de Pyongyang, le premier ministre japonais Shinzo Abe a nuancé en soulignant qu'il n'y avait « pas de changement de politique » de Tokyo et Washington: « nous continuerons à exercer une pression maximale jusqu'à ce que la Corée du Nord prenne des mesures concrètes vers une dénucléarisation ».

« Égal à égal »

Certains experts veulent voir dans cette hâte à donner une stature internationale à Kim Jong-un, de la naïveté ou de l'inexpérience de la part du président américain.

Pour Jeffrey Lewis, de l'Institut Middlebury des études stratégiques, « Kim n'invite pas Trump pour lui livrer les armes nord-coréennes. Il invite Trump pour prouver que ses investissements dans des capacités nucléaires et balistiques ont obligé les États-Unis à le traiter d'égal à égal ».

Toutefois, l'émissaire sud-coréen - qui a dévoilé l'extraordinaire nouvelle dans une très brève allocution sur un perron de la Maison-Blanche jeudi à la nuit tombée - a précisé que Kim Jong-un s'était engagé à oeuvrer à la « dénucléarisation » de la péninsule coréenne et a promis de s'abstenir « de tout nouveau test nucléaire ou de missile » pendant d'éventuelles négociations.

La diplomatie mondiale cherche à obtenir ces deux concessions depuis près de 30 ans, parfois même dupée par le régime de Pyongyang, qui est entré dans le club nucléaire en octobre 2006.

Cinq autres essais ont suivi depuis et dans le même temps le régime a réussi à développer des missiles balistiques dont on pense qu'ils ont désormais la capacité de frapper partout sur le globe.

Dans un tweet, Donald Trump a souligné que l'homme fort de Pyongyang avait parlé de « dénucléarisation », pas seulement d'un « gel » des activités nucléaires.

Après deux années de montée des tensions, ces deux derniers mois ont été marqués par une frénésie diplomatique entre le Nord et le Sud de la Zone démilitarisée (DMZ).

Ultime illustration en date, la visite au Nord en début de semaine d'une éminente délégation sud-coréenne, pour la première fois en dix ans.

Parmi les nombreuses réactions, l'une des plus insolites est venue de l'ancienne vedette américaine du basket, Dennis Rodman, jusqu'à cette semaine le seul homme à n'avoir jamais rencontré MM. Trump et Kim, selon le Washington Post.

« Grand respect au président Trump et au Maréchal Kim Jong-un pour leur prochaine rencontre historique », a-t-il tweeté.

Trump, l'homme qui pourrait réaliser le rêve nord-coréen

SÉOUL - Voilà des lustres que Pyongyang veut être traité d'égal à égal par Washington. En acceptant un potentiel sommet avec Kim Jong-un, Donald Trump pourrait être celui qui aura réalisé le rêve nord-coréen, sans rien obtenir en échange, estiment des experts.

L'annonce d'une telle réunion historique est l'ultime rebondissement en date dans une cascade d'événements diplomatiques sur la péninsule depuis que Pyongyang a contre toute attente décidé au début de l'année de participer aux Jeux olympiques d'hiver de PyeongChang.

Si elle a lieu - on connaît les volte-face du président américain - la rencontre pourrait déboucher sur un accord relatif aux programmes nucléaire et balistique nord-coréens, dont le développement envers et contre toutes les sanctions a alimenté les tensions régionales.

Mais pour nombre d'analystes, accepter le principe d'un sommet entre dirigeants alors qu'on n'a encore rien négocié en coulisse revient à donner gratuitement à la Corée du Nord ce qu'elle cherche.

D'autant que pour Pyongyang, l'arsenal nucléaire a toujours jusqu'alors été absolument non négociable.

« La Corée du Nord cherche depuis 20 ans à obtenir un sommet avec un président américain », rappelle Jeffrey Lewis, de l'Institut Middlebury des études stratégiques.

« Cela est littéralement un objectif prioritaire de sa politique étrangère. »

« Les Nord-Coréens vont parler »

Washington se devait effectivement de négocier, a-t-il concédé.

Mais « Kim n'invite pas Trump pour lui livrer les armes nord-coréennes », assure-t-il. « Il invite Trump pour prouver que ses investissements dans des capacités nucléaire et balistique ont obligé les États-Unis à le traiter d'égal à égal ».

Aucun président américain en exercice n'a jamais rencontré de leader nord-coréen, ni ne s'est rendu à Pyongyang.

Kim Jong-il, le père de M. Kim, avait invité en vain Bill Clinton à venir assister au premier sommet intercoréen en 2000. Mais l'ancien président n'est allé au Nord qu'une fois parti de la Maison-Blanche, pour obtenir la libération d'Américains. Ce que fit également Jimmy Carter.

Pour les experts, les sanctions de plus en plus pénalisantes et les menaces militaires américaines ont acculé Pyongyang aux ouvertures diplomatiques auxquelles on assiste depuis l'annonce le 1er janvier de sa participation aux Jeux olympiques de PyeongChang.

Pékin, soutien traditionnel de la Corée du Nord, a commencé à appliquer « des sanctions vraiment dures » pour « la première fois », a ainsi noté auprès de l'AFP Andrei Lankov, du Korea Risk Group. Et l'économie nord-coréenne menace de s'effondrer.

Mais Pyongyang tentera de gagner autant de temps que possible, poursuit-il. « Les Nord-Coréens vont beaucoup parler de dénucléarisation sans avoir aucune intention de renoncer à leurs arsenaux nucléaires ».

Le conseiller national sud-coréen à la Sécurité, Chung Eui-yong, a affirmé jeudi soir que Kim Jong-un s'était engagé à oeuvrer à la « dénucléarisation » de la péninsule coréenne et avait promis de s'abstenir « de tout nouveau test nucléaire ou de missile » pendant d'éventuelles négociations.

« La vanité de Trump »

Reste que le leader nord-coréen a d'ores et déjà affirmé que le développement de ses armes nucléaires était achevé. Et la doctrine officielle du régime présente l'arsenal nucléaire comme une garantie face aux menaces d'invasion américaine.

Auparavant, le Nord s'était selon Séoul dit prêt à parler de la dénucléarisation si les menaces militaires disparaissaient et si la sécurité du régime était garantie.

On ignore ce que cela pourrait signifier, mais il se peut que les exigences de Pyongyang soient inacceptables, si la Corée du Nord demande par exemple le départ des 30 000 militaires américains stationnés au Sud.

Pour Evan Medeiros, un ancien conseiller de Barack Obama collaborant au think tank Eurasia Group, la décision soudaine de Trump d'accepter le principe d'un sommet est « un pari stratégique majeur ».

Rien n'indique que le Nord, passé maître dans l'art de la manipulation, n'ait la moindre intention de renoncer à ses armes interdites, explique-t-il.

« Kim a probablement réussi à obtenir un sommet en profitant d'une part de la vanité de Trump qui se veut le meilleur négociateur au monde et de l'autre du désir ardent du président sud-coréen Moon Jae-in de réaliser la paix avec la Corée du Nord par le dialogue », a-t-il ajouté.

Confrontée à une pénurie d'experts des questions coréennes, l'administration Trump a accepté un sommet sans avoir fait les travaux diplomatiques préliminaires.

« Kim a accompli le rêve de son père et de son grand-père en faisant de la Corée du Nord un État nucléaire, et en gagnant un prestige immense en rencontrant un président américain sur un pied d'égalité », a déclaré Abraham Denmark, du think tank Wilson Center.

« Le tout en n'ayant renoncé à aucune tête et à aucun missile ».

PHOTO ARCHIVES REUTERS

Le président américain Donald Trump et son homologue nord-coréen Kim Jong-un.