Située à 15 kilomètres des côtes nord-coréennes, l'île isolée de Baengnyeong est dans la ligne de mire de Kim Jong-un: le dictateur a récemment promis de la transformer en «océan de feu». Protégée en permanence par l'armée, l'île est une forteresse où les habitants vivent sous le spectre d'une agression, rapporte notre envoyé spécial.

L'alarme a retenti peu après 22h. Une longue plainte et une voix incompréhensible, crachées du haut des tours de métal. Dans la rue, personne n'a levé la tête ni même ralenti. C'est la même chose chaque soir: les autorités annoncent l'état d'alerte.

À Baengnyeong, île forteresse située à quelques kilomètres des côtes nord-coréennes, les menaces d'attaques font partie du quotidien.

Des milliers de militaires protègent l'île. On les voit à bord de leurs camions, et on les voit en ville, le soir, en permission, autour d'une bière. Depuis que l'île a été mise en alerte, ce printemps, ils restent dans leur base, mais de petits groupes sortent quand même en ville, le soir, une politique instaurée pour projeter une image de normalité dans la vie quotidienne de Baengnyeong.

Malgré la recrudescence des tensions avec la Corée du Nord, qui sont à leur sommet des dernières décennies, les résidants de Baengnyeong à qui La Presse a parlé ne songent pas à partir.

«Même s'il devait y avoir une guerre, je ne partirais pas, a confié Son Jin-Kwang, 35 ans, qui a passé sa vie dans l'île. Toute ville en Corée du Sud peut être une cible. On ne peut rien contrôler. Il y a un temps pour la vie et un temps pour la mort.»

Cinq heures de bateau

Pour débarquer à Baengnyeong, il faut prendre un traversier de 565 places, le Harmony Flower, qui quitte le port d'Incheon, près de Séoul, tous les matins à 8h50. Le voyage sur la mer Jaune prend cinq heures. Le pilote longe la frontière des eaux territoriales de la Corée du Nord, sans y entrer.

L'île de 50 kilomètres carrés est imposante, avec des falaises de calcaire et des collines recouvertes d'épaisses forêts. Durant la guerre de Corée, au début des années 50, des G.I. américains ont défendu l'île de Baengnyeong contre le Nord. À l'époque, il n'y avait ni eau courante ni électricité. Aujourd'hui, près de 5000 citoyens sud-coréens habitent l'île, où l'on trouve plusieurs hôtels, des restaurants et des bars ouverts toute la nuit. Environ 5000 soldats les protègent en permanence.

Le mois dernier, Kim Jong-un a visité la petite île nord-coréenne de Wolnae Islet, à quelques kilomètres d'ici, et a regardé Baengnyeong avec ses jumelles. Il a promis de frapper l'île avec ses missiles et de la transformer en «océan de feu».

Sans surprise, les touristes ont cessé de venir, explique Son Jin-Kwang. En temps normal, l'homme loue du matériel de pêche à 1000 personnes par jour. Ces jours-ci, moins d'une cinquantaine de clients passent par sa boutique quotidiennement.

«C'est une très mauvaise période pour nous. Et il n'y a rien à faire pour changer la situation. Les gens ont peur.»

À cause des tensions, il a lui-même cessé d'aller pêcher au large des côtes, où des bateaux des patrouilles nord-coréennes passent à l'horizon.

Sur les rives de Baengnyeong s'étendent des kilomètres de murs fortifiés, surmontés de clôtures métalliques et de fil barbelé. Des tours d'observation sont placées tous les 400 mètres. Dans certaines baies, des centaines de pieux en métal ont été plantés dans une base en ciment de manière à empêcher les bateaux d'accoster. Certains terrains sont minés.

L'île forteresse donne parfois l'impression d'être une prison, une ville État paranoïaque coincée entre la Corée du Nord et la Chine.

Pour ses habitants, toutefois, Baengnyeong est un secret bien gardé, un joyau. Les gens ici vivent surtout de l'agriculture et de la pêche. Plusieurs sont des retraités de Séoul qui viennent passer leurs vieux jours loin du chaos de la ville.

Devant sa maison, une résidante qui dit simplement s'appeler madame Lee accepte de nous parler, car nous venons de l'étranger.

«Les médias de Séoul, je ne leur parle pas, car ils font peur aux gens, dit la dame âgée de 55 ans. Toutes mes amies sur le continent pensent que vivre à Baengnyeong est dangereux. Je leur réponds que s'il y a une guerre, tout endroit va être dangereux.»

Baengnyeong est un bel endroit pour vivre, dit Mme Lee, qui fait pousser du riz qu'elle vend aux différentes bases militaires de l'île. L'air est pur, tout le monde se connaît. Le crime est virtuellement absent: les gens ne verrouillent pas leurs portes et laissent rouler le moteur de leur voiture quand ils vont au dépanneur.

«Les gens qui ont vécu toute leur vie ici ont gardé une certaine innocence. Plusieurs n'ont jamais vu d'Occidentaux. C'est un endroit calme. Je ne vivrais pas ailleurs.»

Vingt-six bunkers

Dans l'après-midi du 23 novembre 2010, la Corée du Nord a lancé 170 obus et missiles en direction de l'île de Yeonpyeong, à deux heures de bateau de Baengnyeong.

Plusieurs missiles sont tombés dans la mer Jaune, mais plusieurs ont aussi touché des bâtiments de l'île. Deux civils et deux militaires ont perdu la vie dans l'attaque. Les militaires sud-coréens ont riposté, tirant 80 obus vers des canons et des bâtiments militaires nord-coréens, mais on ignore s'ils ont causé des dégâts.

Depuis, le gouvernement sud-coréen a fait construire une série d'abris antibombes dans ses îles de la mer Jaune. À Baengnyeong, on trouve maintenant 26 bunkers aux portes fortifiées.

PHOTO NICOLAS BÉRUBÉ, LA PRESSE

Mme Lee (à l'avant) dit ne pas trop s'inquiéter des menaces de Kim Jong-un. «Toutes mes amies sur le continent pensent que vivre à Baengyeong est dangereux. Je leur réponds que s'il y a une guerre, tout endroit va être dangereux.»

Kim Byung-Deuk, fonctionnaire à la retraite, gare sa voiture et montre du doigt l'entrée de l'abri antibombes.

«C'est ici qu'on doit venir en cas d'attaque, dit-il. Ici, on est en sécurité.»

Le bunker dans lequel il invite La Presse est si neuf s'il sent encore la peinture fraîche. Après avoir passé la lourde porte d'acier qui se verrouille de l'intérieur, des escaliers larges mènent jusqu'à une grande salle enfouie sous plusieurs mètres de béton. L'endroit est doté d'équipements de communications satellitaires spécialisés, d'une salle des machines capable de fournir de l'eau potable, de l'air pur et des réserves de nourriture pendant un mois. On y trouve une salle de toilettes et des douches qui ressemblent à celles d'un gymnase.

Au fond de la salle, des sorties de secours permettent aux occupants de fuir si des envahisseurs devaient réussir à forcer la porte principale.

«Tout a été pensé, explique M. Kim, en refermant la porte du bunker. Je dors mieux depuis que je sais que je peux venir ici.»

L'école ne prend pas de risque

Toutes ces précautions finissent par miner le moral de certains habitants de Baengnyeong.

Une employée du bureau de poste, qui ne veut pas être nommée, confie qu'elle pense chaque jour à l'éventualité d'une attaque des troupes nord-coréennes.

«Nous avons passé notre vie avec les menaces de la Corée du Nord, mais le niveau actuel est sans précédent, dit-elle. En surface, je suis calme, mais, à l'intérieur, j'ai peur.»

Kim Yoon Lee, 38 ans, est enseignante à l'école primaire Pukpo, qui compte 100 élèves. D'habitude, dit-elle, son école tient un exercice d'urgence par année. Depuis le début de l'année, l'école en a déjà fait trois.

«Notre objectif est que les élèves se sentent en sécurité. Mais on ne parle pas beaucoup de la situation politique aux enfants, pour ne pas leur faire peur.»

Malgré tout, la vie continue dans l'île. En ville, des boîtes de karaoké ouvrent chaque soir pour accueillir les résidants et les rares touristes. Les restaurants bon marché offrent une cuisine à base de poisson fumé et de viande importée du continent. Les bars sont souvent bondés jusque tard dans la nuit.

Marchez dans les rues qui serpentent, toutefois, et vous aurez vite fait de croiser un convoi militaire. Au sommet de chaque montagne se trouve un bâtiment aux lignes rectangulaires, ou encore un radar circulaire. Cela vous rappelle que l'île est un rocher unique, à la porte d'un régime totalitaire imprévisible.

Dans une ruelle, Kyungdeuk Choi, 86 ans, marche tranquillement, le dos voûté, vêtue d'une robe rouge et verte. Elle dit avoir passé toute sa vie dans l'île. Quand on lui demande si les menaces nord-coréennes lui font peur, elle ralentit à peine sa marche. «Non, dit-elle. Ça ne change rien. Tout ça est entre les mains de Dieu.»

L'attaque de 2010

Le 26 mars 2010, les résidants de l'île de Baengnyeong ont pu entendre une détonation qui a fait vibrer les vitres des maisons: le navire militaire sud-coréen Cheonan venait de se briser en deux à la suite d'une attaque du Nord.

Le navire de 1200 tonnes se trouvait à moins de 2 kilomètres de Baengnyeong. Des 104 membres de l'équipage, 58 ont été secourus. Quarante-six marins ont péri.

En reconstituant l'épave, une équipe de chercheurs internationaux a conclu peu après qu'une torpille lancée par un sous-marin nord-coréen était à l'origine de l'explosion.

La Corée du Nord a toujours nié avoir attaqué le navire, qui se trouvait dans les eaux sud-coréennes au moment de l'explosion. Depuis, la tension a grimpé d'un cran entre les deux pays.

Dans l'île de Baengnyeong, un monument a été érigé à la mémoire des 46 disparus. Le monument domine la mer Jaune, et une affiche indique aux visiteurs l'endroit exact où le navire a explosé.

Lors du passage de La Presse, un groupe de touristes de Séoul visitait les lieux. Un homme qui a dit s'appeler simplement M. Kim a affirmé qu'il était venu parce que l'endroit fait partie des lieux importants de la Corée du Sud.

«La Corée du Nord aimerait bien prendre possession de l'île, dit-il. Mais ça n'arrivera pas. Nous sommes préparés. Nous les attendons.»

Les cinq grandes puissances «préoccupées» par l'Iran et la Corée du Nord

Les cinq grandes puissances nucléaires, membres permanents du Conseil de sécurité, réunies hier à Genève dans le cadre des travaux de suivi du Traité de non-prolifération nucléaire, ont exprimé leur «préoccupation» à l'égard des programmes nucléaires de l'Iran et de la Corée du Nord.

Dans leur communiqué, les «P5» (États-Unis, Russie, Chine, Grande-Bretagne et France) ont réaffirmé leurs préoccupations «dans le contexte du test nucléaire mené le 12 février 2013 par la République démocratique et populaire de Corée et de la poursuite de certaines activités nucléaires de l'Iran, tous deux contraires aux résolutions du Conseil de sécurité et à celle du Conseil des gouverneurs de l'AIEA [Agence internationale de l'énergie atomique]».

Ils soulignent «l'importance fondamentale» de garanties de l'Agence internationale de l'énergie atomique pour empêcher une prolifération nucléaire et assurent qu'ils poursuivront leurs efforts «pour trouver une solution diplomatique pacifique aux problèmes actuels».

La réunion de diplomates de haut niveau représentant les cinq grandes puissances s'est tenue pendant deux jours à Genève, sous la présidence tournante de la Russie. La prochaine réunion est prévue en 2014 sous la présidence de la France.

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Corée du Sud

Capitale : Séoul

Superficie : 99 260 km2

Population: 48 846 823 d'habitants

Nature de l'état : république

Nature du régime: démocratie présidentielle

Chef de l'État : Park Geun-hye

Premier ministre : Jung Hong-won

PIB par hab. : 20 400$US

Monnaie : won

PHOTO NICOLAS BÉRUBÉ, LA PRESSE

L'entrée de l'un des 26 abris antibombes que compte l'île. Ces bunkers aux portes fortifiées sont accessibles 24 heures par jour.