« Le 23 août 2010, un groupe d'agents du service de planification familiale de Pizhou sont venus frapper à ma porte. Ils m'ont dit qu'on avait dénoncé ma femme pour avoir violé la politique de l'enfant unique. Elle était enceinte de 8 mois, de notre deuxième enfant. Les agents m'ont demandé de les suivre pour répondre à l'enquête. Ils m'ont emmené dans un hôtel où ils m'ont séquestré pendant trois jours.

Dans la chambre, la télé et les lumières étaient allumées en permanence. Les agents me parlaient 24 heures sur 24 pour me lessiver le cerveau. Ils me demandaient sans cesse : « Où est ta femme ? Demande-lui de se rendre et d'accepter la sanction. »

Ils ne me donnaient aucun répit. Au moindre signe de fatigue, ils me réveillaient. Ils me menaçaient de m'enfermer jusqu'à ce que je devienne fou. J'ai fini par révéler l'endroit où ma femme s'était réfugiée.

Le soir du 26 août, il pleuvait très fort. Je n'oublierai jamais ce soir-là. Mon fils participait au concours de piano au théâtre de Pizhou. À bord de deux voitures, une dizaine de personnes sont allées chercher ma femme. Les agents lui ont dit que si elle se faisait avorter, ils la laisseraient tranquille. Que c'était plus avantageux pour elle. Ils l'ont harcelée. Quand elle m'a vu dans un état d'extrême fatigue, barbu, ça lui a fait de la peine. Elle s'est dit qu'il valait peut-être mieux pour notre famille qu'elle se fasse avorter. »

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« Ma femme et moi avons été emmenés en voiture à l'hôpital. Je gardais toujours un espoir de pouvoir m'échapper en chemin. Ça n'a pas été possible. Un médecin a examiné ma femme et a déconseillé l'avortement. Selon lui, il était risqué d'avorter d'un foetus de cette taille. Ma femme avait eu une césarienne lors de la naissance de notre premier enfant. Elle risquait sa vie avec cette opération. Mais les agents ne voulaient rien entendre.

Je ne m'étais pas reposé depuis 80 heures. J'étais effondré. Je ne comprenais pas ce qui se passait. J'ai signé une autorisation dans un état de confusion totale. Le foetus avait 8 mois, vous croyez que j'avais envie de le tuer ?

À 20h, ma femme a été emmenée en salle d'opération. C'est une opération très cruelle. Elle consiste à faire une injection dans le ventre de la femme enceinte. L'aiguille entre dans la tête du bébé pour le tuer.

Le lendemain, ma tante est passée nous voir. Elle nous a dit : « Si l'aiguille n'a pas atteint la tête, le bébé pourrait être encore en vie. Si c'est le cas, on va l'élever. Même s'il est handicapé, s'il a un souffle de vie, on l'élèvera. »

Le matin du 28 août, le bébé est né. Il était mort. Sans aucun souffle. »

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« Ma vision du monde et de la vie a changé. Je regrette beaucoup. Je regrette d'être né ici. Je regrette d'être venu au monde. Je savais que nous n'avions pas le droit à un deuxième enfant, mais je croyais peu probable de le perdre. Je ne m'y attendais pas du tout. Je me disais qu'au pire, je perdrais mon emploi.

En général, les agents de planification familiale ne font qu'exiger une amende. Dans notre cas, ils ne voulaient pas d'argent. Ils voulaient une vie. Ils étaient intraitables. Ils m'ont dit que c'était une mission politique.

Je reconnais la légitimité du contrôle des naissances, mais la loi chinoise interdit de supprimer un foetus à un stade aussi avancé de la grossesse. Ces agents n'ont aucune humanité. Ils sont terrifiants. C'est une mafia, pire que des bandits.

Mon cas a été cité en exemple lors d'une réunion politique locale. Ils se sont félicités d'avoir supprimé un foetus de 8 mois. Ils l'ont dit en public, sans scrupules. S'ils ont pu agir ainsi en toute impunité, ils peuvent user de tous les moyens pour me réprimer. Ils sont sans foi ni loi. Que je vous raconte mon histoire risque de m'attirer des représailles. C'est très probable.

J'ai un rêve: que ceux qui nous ont infligé ces tourments soient punis. Mais je pense que cela va rester un rêve. »

- Propos recueillis par Isabelle Hachey