Dans la course aux législatives britanniques du 6 mai, le Labour du premier ministre Gordon Brown part avec une longueur d'avance grâce à un mode de scrutin particulier qui lui permet de gagner en sièges même s'il perd en voix, au moins de manière modérée.

Selon les sondages, les treize ans du règne travailliste pourraient toucher à leur fin: les dernières enquêtes en date, publiées au cours du week-end, donnent aux conservateurs entre 34% et 36% et aux libéraux-démocrates de 23% à 30%. Le Labour est au mieux placé deuxième, avec 28% à 30%, voire ex-aequo avec les «Lib Dems» ou, pire encore, relégué à une humiliante troisième place.

Mais l'emporter en suffrages ne suffit pas à prendre le contrôle des Communes, chambre basse du Parlement. Ainsi, les 29% que confère l'institut YouGov aux Lib Dems et au Labour, ex-aequo, donneraient seulement 88 députés aux premiers mais 279 aux travaillistes. Avec 34%, les Tories se verraient attribuer 251 sièges sur un total de 650.

Pourquoi? Les députés sont élus selon le système du «First-Past-the-Post» (FPTP), scrutin uninominal majoritaire à un tour: le candidat gagnant est celui qui a le plus de voix, même s'il n'en a que peu dans l'absolu.

Le quotidien The Times a calculé que 32% de voix aux Tories leur donneraient 236 députés selon le FPTP, mais 202 en cas de scrutin proportionnel. Les 31% des Lib Dems équivalent à 110 sièges selon le FPTP et 196 selon la proportionnelle et les 28% du Labour à 273 élus contre 177.

Pour l'emporter dans le système FPTP, ce n'est pas le nombre absolu de voix qui compte mais là où elles se trouvent: mieux vaut avoir 25% dans les circonscriptions qu'on est susceptible d'emporter que 30% sur l'ensemble du pays. Or, à ce jeu, le Labour gagne.

«La distribution des voix du Labour est plus efficace», explique Patrick Dunleavy, professeur de sciences politiques à la London School of Economics (LSE). Les fiefs travaillistes se situent en effet dans les villes, des circonscriptions où le nombre d'électeurs est moins élevé -où il faut donc moins de voix pour élire un député- que dans les campagnes, bases des Tories, ou dans les périphéries, celles des Lib Dems.

Si les Tories n'ont qu'une avance faible dans les suffrages (au maximum 2 points de pourcentage), le Labour gardera le plus grand nombre de députés. Ce n'est qu'avec au moins six points d'avance que les Tories auront le plus de sièges. Et il leur en faudrait dix pour avoir une majorité absolue, selon l'Université de Plymouth.

Entre deux et six points d'avance se situe l'hypothèse de plus en plus évoquée d'un Parlement dit «suspendu» où aucun parti n'a la majorité absolue. Un tel résultat obligerait le gouvernement -issu du parti majoritaire aux Communes- à former une coalition ou à nouer des alliances ponctuelles.

«Le système électoral joue contre les conservateurs», confirme à l'AFP John Curtice, politologue à l'Université de Strathclyde (Écosse). Lors des dernières législatives de 2005, pour élire un député travailliste en Angleterre, il fallait 28 150 suffrages mais pour un conservateur 41 800, a calculé le centre de Plymouth.

Et la situation est encore plus défavorable aux Lib Dems. «L'électorat Lib Dem est distribué de manière plus équitable que celui du Labour et des Tories. Ils pourraient recueillir 30% partout, mais perdre», explique-t-il.

Il ne faut cependant pas voir la main du Labour dans ce mode de scrutin très avantageux. «Le système actuel a été créé par les conservateurs», explique John Curtice. Il a d'ailleurs jadis joué en leur faveur: en 1951, Winston Churchill avait remporté plus de sièges que le Labour, bien qu'il ait rassemblé environ 250 000 suffrages de moins que lui.