Visualisez un camp de réfugiés regroupant près de la population de la ville de Québec. Plantez ce camp de réfugiés dans un désert inhospitalier. Et imaginez que de vous rendre dans ce camp est peut-être la seule façon de survivre à la pire sécheresse du monde en 60 ans et à la famine qui l'accompagne. Vous venez d'arriver à Dadaab, plus grand camp de réfugiés du monde.

Les unes après les autres, les pelletées de sable rouge s'abattent sur la sépulture d'Hussein Mahalin, tout juste âgé de 20 ans. Une cinquantaine d'hommes, accroupis autour du monticule improvisé, prient pour le salut de son âme. Bientôt, ils recouvriront la sépulture de ronces pour empêcher les animaux sauvages de s'en prendre à la dépouille.

Ces funérailles de fortune ne sont pas un spectacle rare à Dadaab, une bourgade du nord-est du Kenya située à 90 km de la frontière somalienne et abritant le plus grand complexe de camps de réfugiés du monde. «Ce matin, on a enterré deux enfants. Petits, petits. Morts de faim. On fait ça tous les jours», raconte Madina Nuir en regardant de loin la cérémonie funèbre, avec les autres femmes, comme le veut la tradition somalienne.

Mme Nuir connaît par coeur les moindres recoins des trois camps de Dadaab - Ifo, Dagahaley et Hagadera -, où sont entassées près de 388 000 personnes, dont 97% de Somaliens. Pour fuir la guerre dans son pays d'origine et la pauvreté extrême, elle est arrivée ici il y a 17 ans. Elle fait partie des «anciens réfugiés» qui vivent dans des maisons en terre cuite et dont les enfants ont grandi dans le même sable rouge qui recouvre la tombe d'Hussein Mahalin, lui aussi un «ancien réfugié», mort des complications d'une maladie respiratoire.

Un camp qui déborde

Déjà à l'étroit dans des camps qui avaient originalement une capacité de 90 000 personnes, cette première génération doit maintenant faire de la place pour un véritable raz-de-marée de nouveaux arrivants.

Depuis janvier, plus de 80 000 Somaliens ont traversé la frontière et ont atterri à Dadaab, victimes à la fois de la sécheresse qui touche une grande partie de la Corne de l'Afrique et de l'entêtement des militants armés d'Al-Shabaab qui refusent de laisser les organisations internationales venir en aide à la population des régions qu'ils contrôlent. Et ce, même si les Nations unies ont déclaré il y a moins de deux semaines qu'une famine y sévissait. Les personnes âgées et les enfants sont les premiers emportés par la faim.

«Ça m'a brisé le coeur, de laisser mon village derrière moi, mais on a tout perdu. Il n'y a pas d'eau. Pas de nourriture. La rivière qui coulait derrière chez nous est sèche. La terre est morte. Ce qui nous restait de bétail, nous l'avons abattu pour le manger. Rien ne pousse. Nous n'avions plus le choix», raconte Fatima Ido.

Arrivée dimanche à Dadaab, elle faisait la file avec ses cinq petits-enfants devant le centre d'accueil du camp Ifo hier matin à l'aube. Elle s'inquiétait pour le petit Mohamed Ali, 3 ans, et la petite Daynabo, une fillette de 6 ans aux yeux tristes. Vêtus de haillons, les deux gamins n'ont plus que la peau sur les os.

Hier, Fatima Ido n'était accompagnée que des femmes de sa famille. Les hommes du clan, ne pouvant se payer le voyage en véhicule, marcheront près de deux semaines pour les rejoindre.

Après des heures d'attente, hier, l'aïeule et les siens ont été auscultés par un médecin, ont reçu des rations de nourriture et d'eau, mais ont aussi appris qu'ils devront patienter avant d'être admis officiellement dans l'un des camps.

Débordé, le Haut-Commis-sariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) - qui gère les camps avec l'aide d'une myriade d'organismes humanitaires, dont Care, Médecins sans frontières, Oxfam et Aide à l'enfance - ne sait plus où donner de la tête. Certains des nouveaux réfugiés, rencontrés en périphérie des camps, affirment attendre depuis plus de deux mois un toit digne de ce nom. En attendant, ils ont bâti de petites huttes rondes, avec des branches et des bouts de haillons.

Gros, débordé, loin

«C'est la situation de réfugiés la plus difficile du monde», résume un des porte-parole du HCR, Ron Redmond, en ajoutant que les organisations humanitaires font tout en leur pouvoir pour aménager de la place aux nouveaux arrivants. «Dadaab, c'est le plus gros camp de réfugiés géré par le HCR, c'est le plus congestionné et c'est aussi le plus reculé du monde», ajoute-t-il.

Se rendre à Dadaab et y acheminer des denrées est d'ailleurs un sérieux casse-tête. Toutes les semaines, deux avions relient le camp de réfugiés à la capitale kenyane, Nairobi. La plupart des camions et des travailleurs humanitaires qui y débarquent font le voyage de sept heures par la route, dont les trois dernières en empruntant des chemins de sable et de roche qui sillonnent un paysage désertique. Des carcasses d'animaux morts, ayant succombé à la sécheresse, jonchent ce paysage lunaire.

Mais le voyage en 4X4, accompagné par des gardes armés, n'est rien comparé aux chemins de traverse que doivent emprunter les réfugiés qui, à coup de 1500 par jour, essaient de sauver leur vie en mettant le cap sur Dadaab.