Viergina Faubert prie beaucoup. Elle prie lorsqu'elle se couche aux côtés de ses trois filles et de ses deux petits-enfants sur l'unique planche de bois qui leur sert de matelas. Elle prie quand elle entend toutes sortes de bruits, la nuit, émanant des tentes voisines. Et surtout, elle prie pour recevoir un appel du Canada.

Son fils, Wilingthon Fontaine, qui vit à Montréal, a entrepris bien avant le séisme des démarches pour la faire venir au Québec. Lorsque le gouvernement québécois a promis aux sinistrés du 12 janvier un «traitement prioritaire», la grand-maman de 62 ans a bien cru que ça y était. Le fils aussi.

Près d'un an après la création du programme spécial de parrainage humanitaire qui devait accueillir au Québec 3000 Haïtiens, un peu moins de 400 d'entre eux seulement en ont bénéficié. Quant aux demandes faites avant le séisme, environ 40 % auraient été rejetées par Citoyenneté et Immigration Canada.

La Presse a rendu visite à Mme Faubert dans le camp de déplacés où elle vit depuis le tremblement de terre. «Je croupis dans la misère», s'excuse-t-elle presque. La tente Canadian Tire que lui avait envoyée son fils n'a pas duré longtemps. «Les Chinois nous en ont donné une autre», dit-elle en montrant le mot «China» imprimé en grosses lettres. À l'intérieur, trois sacs de linge sont posés dans un coin. Il y a des casseroles, des bouteilles d'eau. Sur un cintre sèche l'uniforme scolaire de l'un des petits.

Des dizaines de tentes, dont celle de Mme Faubert, se dressent dans la cour intérieure de l'école primaire Don du Merlin, au coeur du centre-ville de Port-au-Prince. Il est difficile d'y déambuler tellement les tentes sont serrées. À l'entrée, on a inscrit «Centre d'hébergement. We need help» sur un vieux carton installé là dans les jours suivant la tragédie. Personne n'a osé l'enlever. Rien n'a évolué.

«C'est Dieu qui me donne la force de continuer. Ce n'est pas une vie», dit la grand-mère, qui habitait à un jet de pierre de l'école, dans une modeste maison en béton. Sa maison est encore debout, mais elle est fissurée. Et l'immeuble voisin de trois étages semble mal en point. Mme Faubert n'ose plus y entrer, de peur que tout s'écroule. Ses meubles, dont un matelas sans doute mille fois plus confortable que la planche sur laquelle elle dort actuellement, y sont toujours.

La femme au regard triste sort une feuille de son sac à main. «On a fait toutes les démarches nécessaires pour que je parte au Canada. Regardez, les papiers de mon médecin.» On y voit une attestation de ce qui semble être un test d'ADN. Avec l'épidémie de choléra, sa fille, Violette, s'inquiète pour la santé de sa mère. «Ce serait mieux pour elle de partir», dit-elle. Viergina Faubert est bien d'accord. Elle attend que Dieu - ou, encore mieux, le Canada - lui fasse signe.

Angoisse et résignation

Judith Théronier et ses deux enfants, âgés de 15 et 19 ans, ont quitté leur tente pour retourner vivre dans leur maison fissurée de la banlieue de Pétionville. Tout comme dans le cas de Mme Faubert, un membre de leur famille au Québec a rempli une demande de parrainage pour les faire venir. Près d'un an plus tard, ils attendent toujours.

«Les enfants ne pouvaient plus vivre dans une tente. Peggy entrait à l'université et Richard devait aussi retourner à l'école. On a réintégré la maison que nous louions avant le séisme, avec l'angoisse que le plafond nous tombe sur la tête», dit la mère de famille. De larges lézardes ont apparu çà et là sur les murs de la maison de trois pièces. Cela n'empêche pas son propriétaire, un Haïtien qui vit à New York, de leur demander le même loyer qu'avant le tremblement de terre.

«Il m'a dit qu'il l'augmenterait cette année», dit Mme Théronier, découragée. Elle voudrait bien déménager ailleurs en ville, mais les prix ont grimpé en flèche. Ici, on parle de «prix de Blancs», une allusion aux coopérants débarqués en masse après la tragédie. Cela fait beaucoup de monde à loger. Et l'offre a évidemment baissé avec toutes ces maisons effondrées.

Le frère de Mme Théronier, Erns Montreuil, souhaite ardemment que tous les trois viennent vivre chez lui, à Laval. La mère de famille, qui détenait déjà un visa de visiteur avant le tremblement de terre, s'est même rendue au Québec en février, croyant que ce serait ensuite plus facile d'y faire venir ses deux enfants.

Tout le printemps, le frère et la soeur ont multiplié les démarches pour que Peggy et Richard viennent les rejoindre. Les enfants avaient été confiés à des amis qui vivaient sous la tente. En juillet, lorsque La Presse a rencontré Mme Théronier pour la première fois, elle avait épuisé ses ressources. Il ne lui restait plus qu'à rentrer à Port-au-Prince, résignée à attendre là-bas la réponse à la demande de parrainage. Elle n'en pouvait plus d'être si loin de ses enfants.

«J'aime mon pays et je ne pourrai pas le quitter pour toujours, souligne Mme Théronier. Mais là, on a besoin de souffler un peu.» Sa grande fille, Peggy, aimerait poursuivre ses études en économie à Montréal. «Je pourrai revenir ensuite travailler pour aider mon pays», dit la jeune femme d'un air timide. Son frère de 15 ans acquiesce. Pour cela, il faudrait d'abord partir. Partir pour mieux revenir.