Campée à un jet de pierre d'un restaurant McDonald's et d'un comptoir à shawarma, la mosquée Assuna Anabawiya, avec son affiche blanc, noir et vert, pourrait être confondue avec la succursale d'une banque. Mais le Pentagone américain est loin d'y voir une adresse anodine: la mosquée sunnite du quartier Parc-Extension figure sur une liste bien particulière.

Avec huit mosquées en Angleterre, en France, en Italie, en Allemagne, au Pakistan, au Yémen et en Afghanistan, la mosquée Assuna serait, selon un document secret du Pentagone rendu public dimanche par WikiLeaks, parmi les mosquées et les institutions islamiques où «des membres d'Al-Qaïda ont été recrutés, aidés, ou formés».

Ces allégations, contenues dans un document non daté, destiné aux agents américains qui doivent interroger des détenus de la base militaire de Guantánamo, a fait bondir hier la direction de la mosquée, ainsi que le Conseil musulman de Montréal. «Tout ça est basé sur une analyse de renseignements que nous jugeons fallacieuse. À ce jour, aucun administrateur de la mosquée n'a été jugé coupable de quelque crime que ce soit», tonnait hier Salem Elmenyawi, président du Conseil musulman de Montréal.

Encore sous les projecteurs

Ce n'est pas la première fois que la mosquée Assuna, une des plus fréquentées de Montréal, se retrouve sous les projecteurs. Ahmed Ressam, arrêté en décembre 1999 à la frontière américaine avec des explosifs dans sa voiture, l'aurait fréquentée. Un homme qui y a mené la prière à l'occasion du ramadan en 1999, le Mauritanien Mohamedou Ould Slahi, est incarcéré depuis 2002 à Guantánamo. Les États-Unis affirment qu'il est un parent d'un membre haut placé d'Al-Qaïda et le soupçonne d'avoir recruté trois des terroristes ayant participé aux attentats du 11 septembre. Ils croient aussi que le Mauritanien aurait dirigé une cellule montréalaise d'Al-Qaïda lors de son passage au pays, entre novembre 1999 et janvier 2000.

Un document daté de 2008, aussi révélé par WikiLeaks au cours des derniers jours, rappelle ces allégations qui avaient fait l'objet de reportages dans nos pages en 2002. À ce jour, M. Sliha n'a pas fait l'objet d'un procès à Guantánamo. Un juge américain a estimé l'an dernier qu'il n'y avait pas assez de preuves contre lui pour le garder derrière les barreaux. Mais les États-Unis qui, selon le document secret, considéraient l'homme comme une importante source d'informations, ont porté la décision en appel.

Allégations rejetées

«Les États-Unis ont aussi allégué qu'il y avait des armes de destruction massive en Irak et ils ont envahi le pays. Mais on sait maintenant que ce n'était pas vrai», a dit hier à La Presse un des fidèles d'origine algérienne qui fréquentent assidûment la mosquée Assuna depuis 10 ans.

Lors de notre passage à la mosquée de la rue Hutchison, la grande salle de prière était déserte hier. L'imam Sofian, qui est à la tête de la mosquée, a accepté de nous recevoir, mais refusait d'être cité aux fins de cet article. Juste après nous avoir parlé pendant quelques minutes, il a demandé à un autre journaliste de quitter la mosquée. «C'est un endroit privé», a-t-il tonné, visiblement agacé par l'attention que reçoit à nouveau l'institution qu'il dirige, près de 10 ans après les attentats du 11 septembre.

Des conclusions fiables?

Pour le professeur de sociologie à l'Université du Québec à Montréal, Rachad Antonius, les documents rendus publics par WikiLeaks rappellent que dans toutes les mosquées, il peut y avoir des courants radicaux minoritaires. «Cependant, le public doit faire attention aux allégations contenues dans des documents internes de l'armée américaine. C'est à la police d'enquêter et de tirer des conclusions.»

Une opinion que partage le criminologue Stéphane Leman-Langlois, expert du terrorisme et du contre-terrorisme à l'Université Laval. «Entre des renseignements obtenus par les services secrets, souvent par du ouï-dire ou par des aveux obtenus sous la torture et des preuves qui peuvent tenir devant le tribunal, il y a un monde. Les documents révélés par WikiLeaks permettent de voir la tension entre ce que l'armée américaine veut faire et ce qui est possible devant la justice.»