Le rédacteur en chef et cofondateur de WikiLeaks Julian Assange est devenu la bête noire du département d'État américain. Une épithète qu'il a passé sa carrière à rechercher. Portrait d'un fauteur de troubles assumé.

Dans sa jeunesse, Julian Assange était si souvent sur la route qu'il a fréquenté 37 écoles en Australie, son pays natal.

Sa mère dirigeait une troupe de théâtre ambulante, et cherchait à échapper à l'emprise de son ex-mari. Ses deux fils et elle pouvaient changer de ville sans prévenir, parfois en pleine nuit.

Aujourd'hui, Julian Assange, 39 ans, est encore en déplacement constant. Cette fois, il cherche à éluder les gouvernements: Interpol vient de le placer sur la liste des personnes les plus recherchées du monde.

Cette semaine, WikiLeaks a aussi réussi son plus gros coup: entreprendre la diffusion de 251 287 câbles diplomatiques américains. Un geste qui a enragé la secrétaire d'État Hillary Clinton, et poussé des politiciens à demander publiquement l'assassinat de Julian Assange, fondateur de l'organisation.

Interrogée cette semaine par le journal australien Herald Sun, la mère d'Assange, Christine, a dit que son fils était peut-être devenu «trop malin pour son propre bien».

«Il considère qu'il a une influence positive sur le monde, a-t-elle dit. Il combat les méchants, si vous voulez.»

Personne combative

Assange est devenu journaliste indépendant à la fin de son adolescence. Passionné d'informatique, il a aussi réussi à pénétrer dans les réseaux privés en Australie et ailleurs, des gestes qui lui ont valu à l'époque des tapes sur les doigts et quelques amendes. Plus récemment, Assange a étudié la physique et les mathématiques à l'Université de Melbourne.

En 2006, des collaborateurs et lui lancent WikiLeaks, une organisation qui se consacre à la diffusion de documents secrets, propriété des États et des entreprises, fournis par des dénonciateurs. Cette année, Assange a diffusé des journaux de bord de l'armée américaine en Afghanistan et en Irak. Cela lui a valu d'être qualifié de «criminel» par l'administration Obama, et de «héros» par Daniel Ellsberg, dénonciateur responsable de la diffusion des Pentagon Papers durant la guerre au Vietnam.

«Je suis une personne de nature combative, a dit Assange en juillet, à la conférence TED, organisée chaque année à Long Beach, en Californie. Et j'aime révéler la vérité.»

Pour Assange, l'information est un levier qui doit être utilisé pour produire du changement social. Et l'information la plus susceptible d'avoir un impact sur la société, dit-il, est celle que l'on cherche à cacher.

«Ça nous ramène à la question: quel type d'information est importante, quelle information peut produire des réformes? Lorsque des organisations dépensent des sommes considérables pour garder une information secrète, cela nous dit quelque chose. Ça veut dire que, lorsque l'information est diffusée, il y a une chance de produire du bien.»

Ce sont les organisations elles-mêmes qui savent ce qui est important, dit-il. «Ce qui est important est caché. Révéler ces secrets, c'est un peu notre histoire, et c'est aussi l'histoire du journalisme.»

La diffusion des informations peut bien sûr avoir des conséquences sérieuses. Plus tôt cette année, WikiLeaks a diffusé des images d'un hélicoptère américain en train de faire feu sur des civils en Irak. Deux journalistes de Reuters et dix civils irakiens sont morts dans cette attaque. Le Pentagone a dit que la diffusion de ces images a mis en danger les troupes en poste en Irak et en Afghanistan.

Assange a critiqué cette interprétation. «Les gens à Bagdad ou en Afghanistan n'ont pas besoin de voir les vidéos, car ils voient cette réalité tous les jours. Ça ne changera rien à leurs opinions, leurs décisions. Par contre, la vidéo peut changer l'opinion des gens qui financent ces guerres. C'est ce que nous souhaitons.»

Agressions sexuelles

Tout ne fonctionne pas sur des roulettes pour Julian Assange et WikiLeaks. L'été dernier, deux femmes en Suède ont porté plainte contre Assange concernant «son attitude dégradante envers les femmes» durant des relations sexuelles survenues à une semaine d'intervalle.

La police a ouvert une enquête pour viol, et cherche depuis à interroger Assange. Le principal intéressé a affirmé n'avoir rien à se reprocher, et a dit que les relations étaient consensuelles.

L'une des victimes a confié au quotidien suédois Aftonbladet qu'elle n'a jamais voulu qu'Assange soit accusé de viol. «Nous n'avons pas eu peur de lui. Il n'est pas violent, et je ne me suis pas sentie menacée par lui.» Selon le journal, Assange aurait refusé de porter un condom.

Puis, les tensions au sein de WikiLeaks ont éclaté au grand jour, quand le porte-parole officiel de l'organisation, Daniel Domscheit-Berg, a claqué la porte.

Présent depuis les débuts du groupe, M. Domscheit-Berg, a dit qu'Assange avait un style autoritaire et supportait mal la critique.

«J'ai été avec WikiLeaks durant trois ans. J'y ai investi beaucoup de temps et d'argent. J'ai vu l'organisation devenir très influente très rapidement, trop rapidement en fait», a-t-il expliqué au magazine allemand Der Spiegel.

Quand Assange a été accusé d'agression sexuelle, l'été dernier, M. Domscheit-Berg lui a suggéré de limiter ses activités. Un commentaire que le patron n'a pas apprécié.

«Il a vu cela comme une attaque et m'a suspendu. Si Julian peut claquer des doigts et me suspendre - il m'a accusé d'insubordination et de déloyauté - qu'est-ce que cela vous dit au sujet de WikiLeaks? S'il peut faire une telle chose, cela vous montre que WikiLeaks est son bébé, il est le seul maître à bord.»

Si ces problèmes ont affecté Assange, il n'en a rien laissé paraître. Le combat qu'il mène semble être plus important pour lui que la cohésion au sein de l'organisation qu'il dirige et dont il est le visage public.

L'été dernier, Assange a publié sa pensée sur IQ.org, un blogue qu'il a créé, et qui n'est aujourd'hui plus en ligne, mais que CNN a réussi à retracer.

«Les structures auxquelles je m'attaque sont des opposants de taille, mais je ne peux échapper au son de la souffrance, écrit Assange. Quand je serai vieux, je trouverai peut-être du confort dans un labo, à discuter doucement avec des étudiants, durant une belle soirée d'été, et j'accepterai la souffrance avec insouciance. Mais pas maintenant. Les hommes au zénith de leur vie, s'ils ont des convictions, se doivent d'agir.»