Une reconstitution hyperréaliste de la mort de Michael Brown, gisant face contre terre, fait polémique aux États-Unis: son auteure, une artiste blanche, dénonce le racisme «endémique» dans un pays marqué récemment par plusieurs morts violentes sous les balles de la police.

«C'est vraiment bouleversant, dégoûtant», a réagi le père de Michael Brown, abattu par un policier à 18 ans le 9 août 2014 alors qu'il n'était pas armé. «Cette image est gravée dans ma tête».

«J'aimerais vraiment, vraiment qu'ils retirent ça», a ajouté lors d'un entretien à la chaîne CBS News l'homme, qui porte le même nom que son fils.

Avec l'exposition Confronter les vérités: réveillez-vous! («Confronting Truths: Wake Up!»), la galerie Guichard, installée dans un quartier majoritairement noir de Chicago et «spécialisée dans l'art de la diaspora africaine», veut encourager les visiteurs à «se joindre au débat pour commencer à panser les plaies».

L'artiste derrière l'installation, Ti-Rock Moore, dit s'inspirer pour ses oeuvres du «racisme dévastateur encore endémique» aux États-Unis.

«J'explore le privilège des Blancs à travers la vive conscience que j'ai de l'avantage indu donné par ma peau blanche», écrit-elle dans la présentation de l'exposition.

PHOTO MIRA OBERMAN, AFP

Une statue de la Liberté au visage noir, un panneau lumineux en forme de croix portant l'inscription «privilège blanc» ou des silhouettes vêtues des tuniques blanches et cagoules pointues du Klu Klux Klan: sa première exposition en solitaire décline plusieurs oeuvres sur la même thématique.

Mais en entrant dans la petite galerie, c'est d'abord la reconstitution de la dépouille de Michael Brown tombé sous les balles, un cordon jaune de police délimitant la scène, que voient les visiteurs.

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Apportant son soutien tacite à l'oeuvre, la mère de Michael Brown était présente à l'inauguration, le corps ayant toutefois été recouvert pour sa venue.

«L'art réveille les gens»

Dans un pays où le débat sur le racisme envers les Noirs a ressurgi avec violence depuis un an après plusieurs morts d'hommes non armés sous les balles de la police, ce message a toutefois du mal à convaincre et les critiques sont nombreuses. La galerie dit même avoir reçu insultes et menaces.

«Le souvenir du corps profané de Brown est déjà gravé dans toutes les maisons et tous les quartiers et tous les coeurs de tous les Noirs qui se sont rendu compte que ce pays ne nous a jamais aimés», s'indignait Kirsten West Savali, journaliste du site The Root, spécialisé dans les affaires concernant la communauté afro-américaine.

«Nous n'avons pas besoin qu'une artiste blanche "courageuse" appose sa signature sur le corps de notre défunt pour le comprendre», poursuivait-elle.

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Pour le propriétaire de la galerie, Andre Guichard, l'exposition «joue exactement son rôle: poursuivre le débat sur les relations raciales dans ce pays».

«Toute oeuvre qui place un miroir face aux aspects les plus laids de notre société peut provoquer une réaction viscérale chez les gens», déclare-t-il à l'AFP.

«Ses intentions sont bonnes, mais ce n'est pas à nous de réfléchir là-dessus ni de le raconter, car ce n'est pas notre histoire», jugeait l'un des visiteurs, Henry Voellmecke, un étudiant en arts qui confiait avoir été ému par les «puissants messages» de l'exposition.

Ressortant enthousiaste, Luther Kush, un artiste de 75 ans, disait lui «applaudir» l'artiste. «J'adore ça. Il faut le faire. L'art réveille les gens.»

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