Le calme régnait hier soir à Ferguson, troublé uniquement par le passage de cortèges de véhicules militaires. Au moment de mettre sous presse, seule une vingtaine de manifestants étaient réunis devant le poste de police, sous les flocons de neige. Le centre-ville porte encore les cicatrices des émeutes de lundi soir : rares sont les commerces qui ne sont pas placardés après avoir essuyé l'éruption de rage qui a suivi la décision du grand jury de ne pas accuser le policier qui a tué Michael Brown, en août. Mais à la veille de l'Action de grâce américaine, l'heure était aussi au nettoyage et à l'entraide.

Natalie DuBose peinait hier à mesurer l'ampleur de l'élan de générosité à son égard, après que la vitrine de sa petite pâtisserie du boulevard Florissant eut volé en éclats, lundi soir. Plus de 165 000$ US ont été amassés sur internet pour lui venir en aide.

«J'ai beaucoup pleuré [quand c'est arrivé], explique la mère de famille de 32 ans. J'avais tellement de peine, je me disais qu'ils ne toucheraient pas mon commerce. Les gens qui ont fait ça n'ont pas pensé que leur geste aurait un impact sur ma capacité de nourrir ou de ne pas nourrir mes enfants.

«Mon commerce est trop jeune pour survivre placardé», dit Natalie DuBose, qui a ouvert sa pâtisserie en juin dernier, en y investissant toutes ses économies et en faisant «beaucoup de sacrifices». Elle a notamment cumulé deux emplois pour réunir les fonds nécessaires.

«C'est mon bébé, j'ai donné naissance à ça», dit-elle.

Mardi après-midi, au lendemain des émeutes, deux personnes différentes ont voulu l'aider en lançant une campagne sur un site de financement. Plus de 4000 personnes ont fait des dons allant de 5 à 2000$.

Une certaine incrédulité se lisait d'ailleurs dans les yeux de Natalie DuBose à l'évocation de la somme amassée, qui dépasse largement le coût de remplacement de sa vitrine. Que va-t-elle en faire? «Aucune idée, je n'ai même pas le temps de m'asseoir depuis hier!», s'exclame-t-elle.

Il faut dire que la jeune femme ne fournissait pas à la tâche, hier. Son petit local situé dans un vieux bâtiment de briques et de bois embaumait le sucre. À la veille de l'Action de grâce, le téléphone ne dérougissait pas et les clients se succédaient pour mettre la main sur un de ses colorés gâteaux ou sur ses fameux cupcakes...

Sans parler des demandes d'entrevues! Car les médias américains se sont emparés de l'histoire, amenant ainsi de nouveaux clients, comme Dennis Kane, un résidant de Ferguson qui n'avait encore jamais mis les pieds dans la petite pâtisserie. «On va manger ça en famille, demain», dit-il, pendant que sa fille salive en regardant le paquet.

La générosité de la population ne s'est pas manifestée uniquement en espèces sonnantes et trébuchantes. Lors du passage de La Presse, une pâtissière à la retraite et militante de longue date des droits des Noirs est venue offrir ses moules à gâteau et autres instruments de cuisine.

PHOTO TIRÉE DU SITE GOFUNDME.COM

Dans la nuit de lundi à mardi, la pâtisserie de Natalie Dubose a été saccagée par des protestataires. Deux personnes ont lancé une campagne de financement sur le web pour amasser des fonds pour l'aider à réparer les dommages.

«Ça fait neuf ans que c'est rangé et que ça ne sert pas», explique Tommysyne Lewis, qui ne voulait pas donner son matériel à n'importe qui. Quand la dame de 76 ans, qui habite la ville voisine de Florissant, a vu l'histoire de Natalie DuBose à la télévision, elle a su qu'elle venait de trouver la bonne héritière.

À elle, comme à tous les autres venus lui donner un coup de pouce ou lui apporter de quoi manger en cette folle journée, Natalie DuBose fait une longue accolade. Ses grands yeux pétillants ne mentent pas: «Je suis très reconnaissante, dit-elle. Je pourrais être encore en train de pleurer pour du boulot.»

La jeune femme passera plutôt l'Action de grâce et le Vendredi fou dans son commerce. «On a 50 commandes à livrer demain [aujourd'hui], calcule Natalie DuBose. Mais 10 bénévoles se sont proposés pour la livraison, ça ira.»

Plusieurs amis et membres de sa famille sont venus mettre la main à la pâte. Comme son fils Clayton, dont les yeux sont devenus ronds lorsqu'il a vu le commerce bondé en sortant de l'arrière-boutique, où il fait office de «sucreur». Et, parfois... de goûteur, explique-t-il, l'air malicieux, du haut de ses 7 ans.