Une route de sable bordée d'acacias coupe en deux le petit village kenyan de Malahkise. Sur cette route, des dizaines de réfugiés somaliens affluent chaque jour. «Ils sont si faibles. Au début, nous partagions tout ce que nous avions avec eux, raconte une femme du village. Mais ça devient de plus en plus difficile. Nous n'avons plus rien nous-mêmes.»

La pire sécheresse à frapper la Corne de l'Afrique en 60 ans touche autant Malahkise que le sud de la Somalie et l'Éthiopie. Ses habitants font partie des 12,4 millions de personnes dont la vie est en danger.

L'effet des pluies insuffisantes des deux dernières années sur la petite communauté saute d'ailleurs aux yeux. Les potagers qui jouxtent les huttes sont vides. Les arbrisseaux sont si desséchés qu'ils ont l'air de bois mort. Le puits du village est à sec. «Il n'y a plus un animal qui soit encore sur ses quatre pattes. Nous sommes pris ici, à attendre. Contrairement aux réfugiés, nous ne recevons pas d'aide humanitaire», déplore Khairo Hassan, qui a vécu toute sa vie dans la petite communauté pastorale.

Pour s'approvisionner en nourriture, les villageois doivent se rendre dans le marché du camp de Dadaab, où des réfugiés vendent certaines denrées. «On ne comprend pas pourquoi toute l'aide est envoyée aux réfugiés. On nous a oubliés. Il y a beaucoup de gens vulnérables, ici, des aînés, de jeunes enfants qui ont toutes sortes de besoins», tonne Habiba Mohamoud, une grande femme solide qui n'a pas la langue dans sa poche.

Il faut s'attarder au bébé qu'elle berce dans ses bras pour constater qu'elle ne ment pas. Âgé de 2 ans, il a la taille d'un bébé de 6 mois. Ses bras et ses jambes rachitiques laissent présager qu'il souffre de malnutrition. «C'est difficile d'avoir de l'aide médicale. Il faut trouver du transport jusqu'au camp de réfugiés, et ça coûte trop cher», justifie la mère.

De l'aide, ici, maintenant

Les habitants de Malahkise pourraient se joindre au flot de réfugiés pour obtenir de l'aide mais, sur ce sujet, ils sont catégoriques: ils veulent que leur gouvernement et la communauté internationale leur viennent en aide chez eux. Ils rappellent que, s'il est difficile d'acheminer de l'aide en Somalie, en partie sous la coupe d'al-Shabaab, un groupe armé lié à Al-Qaïda, rien n'empêche les camions d'atteindre les communautés les plus touchées dans le nord du Kenya.

Les organisations humanitaires qui oeuvrent dans le camp de Dadaab sont conscientes des besoins des villages qui entourent le plus grand camp de réfugiés du monde. «On a les yeux rivés sur les réfugiés et nos ressources sont centralisées dans les camps. On a de la difficulté à agir dans les communautés locales, mais c'est tout aussi requis», admet Caroline Saint-Mleux, de l'unité d'urgence de CARE. À l'instar de plusieurs agences onusiennes, CARE vient de mettre sur pied une cellule de crise pour faire face à la situation kenyane.

L'armée kenyane mobilisée

Le gouvernement kenyan se met aussi de la partie. Cette semaine, il a annoncé qu'il déployait l'armée pour faire parvenir de l'aide d'urgence dans les régions les plus touchées.

Un revirement de 180° pour un gouvernement qui, la semaine dernière encore, affirmait par la bouche de son porte-parole, Alfred Mutua, «qu'aucun Kenyan n'est mort de la faim».

Cette affirmation a enflammé plusieurs journalistes, dont Jared Ombui, animateur de radio. Des articles en provenance de communautés dévastées, dans le nord du pays, ont afflué. Des rapports sur la mauvaise gestion que fait le gouvernement des fonds destinés à prévenir les effets de la sécheresse ont aussi été publiés. «Nous savions depuis longtemps que la sécheresse dévastait le nord du pays. Nous en parlons dans les médias depuis février. Il y a des ministres qui devraient être traduits en justice pour leur négligence», s'indigne l'animateur de Nairobi, qui ajoute que ce sont les habitants de Malahkise qui en paient aujourd'hui le prix.