«Je n'ai qu'une chose à vous dire: fuck la police!» Un joint de cannabis dans une main, un téléphone cellulaire dans l'autre, Albania dit qu'il est victime de brutalité policière une vingtaine de fois par semaine. Le jeune homme de 22 ans, qui préfère taire son vrai nom, a grandi à Tottenham, quartier de Londres où les émeutes ont commencé samedi dernier et où des explosions ont été entendues hier soir.

«Les policiers sont nos bourreaux. Ils nous poursuivent et nous battent à l'abri des regards», dit-il.

Son ami Jamal s'est fait battre dans la nuit de samedi à dimanche. Il montre son front tuméfié et une dent cassée. «Des agents m'ont attrapé et m'ont battu à coups de bâton à 4 h du matin. J'ai encore mal à la tête», dit le jeune homme dégingandé en survêtement de sport.

Tous deux nient être au nombre des pillards et des incendiaires qui ont mis à sac la principale rue commerçante de Tottenham, samedi soir, et provoqué les émeutes qui sévissent au pays depuis.

C'est la mort de Mark Duggan, tué à bout portant par des policiers jeudi soir, qui a mis le feu aux poudres, selon eux. L'homme de 29 ans était un vendeur de drogue et membre d'un gang criminel, selon le magazine The Voice, qui s'adresse à la communauté noire de Londres. Mais Michelle Brown, amie du défunt, balaie ces allégations d'un revers de main: «S'il avait bien une arme sur lui, pourquoi les policiers ne l'ont-ils pas simplement désarmé?, demande-t-elle entre ses fausses dents en or. Je suis furieuse. Martin Luther King a dit: «Les émeutes sont le langage des incompris.»»

Calme trompeur

Le calme était revenu hier dans le quartier à forte population immigrée, l'un des plus pauvres d'Angleterre. Calme trompeur: si les incendies allumés au cours du week-end ont été éteints, le sentiment d'injustice, lui, couve toujours.

«Nous sommes des laissés-pour-compte, dit Janet, une mère de famille, devant un parc de logements sociaux beiges. J'espère que le gouvernement prêtera enfin attention à nos souffrances.»

Le quartier était quadrillé de cordons policiers. La grande majorité des commerces étaient fermés en après-midi, certains carrément barricadés.

Mustafa Demir, dont l'épicerie a été la cible de vandales samedi, avait décidé de garder ses portes ouvertes. «J'ai vu la rue flamber, samedi, mais ce qui m'a le plus choqué, c'est l'inaction des policiers, dit le Londonien d'origine kurde. Ils n'ont pas levé le petit doigt.»

«Heureusement, j'avais des amis et des cousins pour protéger mon magasin. Mes propres clients ont essayé de me voler. Ils étaient de toutes les nationalités - turcs, kurdes, jamaïcains. Quand je leur demandais pourquoi ils pillaient les magasins, ils me répondaient qu'ils en avaient marre d'être pauvres.»

Grace Martinez a eu moins de chance que M. Demir: elle a tout perdu dans un incendie qui a ravagé son immeuble. «Nous nous sommes échappés de notre appartement en flammes à 1 h du matin. La police n'est arrivée qu'à 6 h. Maintenant, tout ce que nous avons, ce sont des oreillers et des produits de première nécessité offerts par l'arrondissement», dit la femme d'origine équatorienne, en larmes, devant un centre communautaire.

Les résidants de Tottenham ne sont pas au bout de leurs peines: un nouvel épisode de violence pourrait éclater vendredi. «Mes clients me disent de fermer vendredi parce qu'ils organisent une nouvelle émeute», dit Mustafa Demir.

De branché à déserté

Camden, quartier branché où habitait la chanteuse Amy Winehouse au moment de sa mort, était méconnaissable hier soir. Durement touché par les émeutes dans la nuit de lundi à hier, il avait pourtant été nettoyé de fond en comble par ses résidants lors d'une corvée de ménage au cours de la journée.

Mais à la nuit tombée, un lourd silence s'est abattu sur ce secteur traditionnellement plus animé. «C'est comme une ville-fantôme. Les gens s'attendaient à ce qu'il se passe quelque chose encore ce soir. Les magasins et les pubs ont fermé très tôt», raconte Tony Nickels, chauffeur de taxi, en pointant les rideaux de fer tirés devant les façades de commerces.

«Ces gens qui font du trouble, ils ne réalisent pas l'effet que ça a sur la vie des autres», déplore-t-il.

L'effet était effectivement très visible à Camde, hier. Des commerces avaient remplacé leur vitrine fracassée par du métal ou du contre-plaqué, d'autres ayant simplement réparé les dégâts avec du ruban adhésif. En quelques endroits, le verre brisé craquait encore sous le pas des passants. L'épicier du coin, dont le commerce a été attaqué la veille, avait placé un lourd réfrigérateur devant une vitrine pour bloquer l'accès en cas de retour des pillards. Un peu plus loin, des résidants ont affiché une banderole de tissu sur une devanture de magasin saccagée. «Paix et sagesse pour Camden», y ont-ils inscrit.

Dans ce quartier où les bars et boutiques sont pourtant nombreux, une banque a même décidé de ne plus ouvrir ses portes pour un certain temps. «En raison des récents événements, cette succursale sera fermée jusqu'à nouvel ordre», précise une affiche sur la porte.

Hassan El Khoudy, lui, est un des rares restaurateurs à être restés ouverts après le coucher du soleil, hier. «Je n'ai pas d'objets de valeur. S'ils veulent voler des falafels, laissons-les aller», lance-t-il en pointant la rue déserte.

La police était partout à Londres, jusque dans les quartiers plus chics. À Bayswater, par exemple, où quelques commerces placardés témoignaient encore du passage des émeutiers la veille et où les agents à pieds semblaient parfois presque aussi nombreux que les promeneurs.