Dans la rue, un cri de ralliement: «Grenadiers, à l'assaut, tant pis pour ceux qui meurent!» Émeutes, incendies et fusillades ont suivi l'annonce controversée des résultats du premier tour de l'élection présidentielle en Haïti. La communauté internationale, si elle lance un appel au calme, n'en est pas moins sceptique devant ces résultats.

Au bout du fil, Ginette Chérubin s'excuse avant d'aller baisser le son de la télévision, qui retransmet des images des émeutes à Port-au-Prince. Membre du Conseil électoral provisoire, elle est en colère. «Je sais que j'ai tellement été vigilante que cela ne devrait pas arriver. Je ne vois pas où on a trompé ma vigilance. Je me sens très mal à l'aise, c'est très inconfortable, plus que je ne pourrais l'exprimer.»

Les résultats du premier tour de l'élection présidentielle, diffusés mardi soir, ont provoqué la fureur de la population. Si le score attribué à l'ex-première dame Mirlande Manigat (31% des voix) correspond aux attentes, celui qu'aurait obtenu Jude Célestin, le dauphin du président sortant René Préval (22%), est jugé incohérent. Lundi, lors de la divulgation des résultats partiels homologués par les observateurs étrangers, M. Célestin était troisième, loin derrière Michel Martelly.

Du coup, les partisans de Michel Martelly (21%, 6000 voix de moins que Jude Célestin) ainsi que d'autres électeurs outrés ont craché leur fureur. Émeutes, incendies, fusillades ont éclaté dans les grandes villes du pays. Au moins quatre personnes ont été abattues. La permanence du parti Inité et de son candidat, Jude Célestin, a été incendiée.

«Si Michel Martelly n'est pas président, on va mettre le pays à feu et à sang», a crié un manifestant, cité dans une dépêche de l'Agence France-Presse. Certains manifestants, armés de bâtons, chantaient, tapaient dans leurs mains et renversaient des poubelles sur leur passage.

Résultats non définitifs

En après-midi, Michel Martelly s'est adressé à ses partisans. «Peuple haïtien, depuis mardi soir, le CEP (Conseil électoral provisoire, NDLR) a jeté le pays dans la crise avec ses résultats incorrects. Depuis, le pays s'est mis debout pour faire respecter le vote populaire», a-t-il déclaré en créole à la radio Signal FM.

«La communauté internationale, les observateurs nationaux et internationaux reconnaissent que ces résultats ne sont pas bons», a-t-il ajouté. Les États-Unis se sont en effet dits «préoccupés» par les résultats «incohérents» de l'élection. Le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, a pris note du fait que ces «résultats ne sont pas définitifs» et demandé à tous les candidats d'épuiser tous les recours judiciaires.

La France a appelé au calme et demandé au Conseil électoral de traiter les recours «de manière rigoureuse et transparente». Le Canada a exhorté «tous les acteurs de la scène politique à remédier aux irrégularités, conformément à la loi électorale».

«Les résultats peuvent être contestés devant le contentieux électoral, comme le prévoit la loi, mais pas dans les manifestations de rue, ce n'est pas cela, la démocratie», a pour sa part dit le président René Préval.

Dénoncer les fraudes

Joint par La Presse alors qu'il se trouvait devant les bureaux du Conseil électoral provisoire, Panel Lindor a décrit une foule bruyante, des gens qui couraient dans tous les sens et qui lançaient des pierres aux policiers qui gardaient l'immeuble. «Les gens expriment leur ras-le-bol», a-t-il dit.

L'étudiant en philosophie n'a pas voté; il n'accorde sa confiance à aucun des candidats, tous responsables selon lui, à un moment ou à un autre de l'histoire récente d'Haïti, d'avoir trahi la confiance populaire. «Les gens oublient facilement. Il n'y a pas de travail de mémoire, on n'en parle pas.»

Ginette Chérubin, désignée comme représentante d'un groupe de femmes au Conseil électoral provisoire, a dénoncé pendant la campagne des irrégularités concernant les listes d'électeurs et de superviseurs. Mercredi, elle a dit souhaiter que ses collègues témoins de fraudes aient le courage de les dénoncer. «Tout le monde doit s'investir pour éviter que ce pays ne perde sa souveraineté et ne plonge davantage dans l'abîme, et qu'on remette ce pays debout.»

D'après AFP

Photo: AFP

Des partisans du candidat Michel Martelly ont brûlé des pneus devant le palais présidentiel haïtien pour manifester leur mécontentement.