À trois jours d'un verdict électoral qui risque de les démoraliser, une multitude d'Américains ont envahi samedi le National Mall de Washington pour participer au «rassemblement pour rétablir la santé mentale et/ou la peur» organisé par les humoristes Jon Stewart et Stephen Colbert.

Selon AirPhotosLive.com, société embauchée par la chaîne CBS pour évaluer la foule, quelque 215 000 personnes ont profité d'une journée magnifique d'automne pour célébrer la modération avec les animateurs de la chaîne Comedy Central. La même entreprise avait estimé à 87 000 le nombre de participants au «rassemblement pour rétablir l'honneur» organisé à la fin du mois d'août au même endroit par l'animateur de Fox News Glenn Beck.

Si Stewart et Colbert ont évité les allusions à la politique partisane, les participants à leur rassemblement ont fait preuve d'une moins grande retenue, se moquant notamment du Tea Party et de certaines vedettes de ce mouvement de contestation populiste et conservateur.

«Je ne suis pas une politicienne», pouvait-on lire sur une affiche tenue par une femme déguisée en sorcière, une allusion facétieuse à une pub télévisée dans laquelle Christine O'Donnell, candidate républicaine à l'élection sénatoriale du Delaware, affirmait d'emblée ne pas être «une sorcière».

Plusieurs participants ont également brandi des pancartes accusant Fox News et quelques-unes de ses têtes d'affiche, dont Beck et Sean Hannity, d'alimenter l'extrémisme politique. «Seuls les nazis sont des nazis», proclamait une affiche dénonçant les comparaisons parfois douteuses établies par les animateurs de la chaîne d'information conservatrice.

Dérives dénoncées

À la fin du rassemblement, Stewart a lui-même déploré les dérives et outrances du débat politique américain, montrant du doigt les commentateurs des chaînes d'information câblées et les politiciens démocrates et républicains de Washington. Contrairement aux autres Américains, ceux-ci ne semblent connaître qu'un mode de communication, celui de l'affrontement, a-t-il déploré.

«Les seuls endroits où les Américains ne travaillent pas ensemble, c'est ici et sur les chaînes d'information câblées, a-t-il dit. Si nous amplifions tout, nous n'entendons rien.»

Avant de conclure le rassemblement sur cette note sérieuse, Stewart et Colbert avaient échangé des gags entrecoupés de numéros musicaux mettant notamment en vedette Kid Rock, Sheryl Crow, Jeff Tweedy, Mavis Staples, Yusuf Islam, alias Cat Stevens, et Ozzy Osbourne.

Plusieurs participants avaient parcouru de grandes distances pour répondre à l'appel de Stewart et Colbert. Ils avaient tous un message politique à passer.

«Nous devons défendre nos droits et tenir tête au Parti républicain», a dit Laura Herrera, native de Phoenix, qui tenait une pancarte disant «Je viens d'Arizona, je m'excuse», allusion à la loi controversée de cet État du Sud-Ouest pour combattre l'immigration illégale.

«Je voulais que les médias voient l'autre côté de la médaille», a pour sa part déclaré Gene Tackett, qui avait quitté la veille Bakersfield, en Californie, pour participer au rassemblement du duo Stewart-Colbert. «J'ai l'impression que les médias attachent beaucoup trop d'attention à ce que la droite fait, dit ou pense.»

Jim Tarrent n'a pas eu à voyager très loin pour se rendre au Mall, lui qui vit avec sa famille à Silver Spring, ville du Maryland située en banlieue de Washington. Mais il semblait aussi ravi que les autres de se retrouver parmi la foule, dont l'importance lui a semblé être de bon augure à la veille des élections de mi-mandat.

«C'est très encourageant, cela me rend optimiste», a-t-il dit.

Le «rassemblement pour rétablir la santé mentale et/où la peur» se voulait une réplique à celui de Glenn Beck. En annonçant l'événement, Jon Stewart avait évoqué son intention de donner la parole «aux 80-85% des Américains qui ne sont pas des extrémistes».

Quant à Colbert, qui ne se départit jamais de son personnage d'animateur conservateur, il avait invité ses fans à dénoncer «tous ceux qui cherchent à remplacer la peur par la raison».

Stephen Harper

Matthew Millward, Torontois de 43 ans, a répondu à l'appel de Colbert. Déguisé en Stephen Harper, il brandissait une grande affiche sur laquelle étaient énumérées les choses dont les «Canadiens devraient avoir peur». On trouvait parmi sa liste: les professeurs de Harvard, les registres d'armes à feu, les médias, Omar Khadr et les recensements longs.

«Les Américains n'ont pas le monopole de la peur», a déclaré Millward en imitant la voix du premier ministre Harper. «Je vais faire la même chose que Bush a faite pour se maintenir au pouvoir. Je vais faire peur au monde.»