À quelques jours d'un verdict électoral qui risque de les démoraliser, des dizaines de milliers d'Américains ont envahi aujourd'hui le National Mall de Washington pour participer, sous un ciel bleu, au «rassemblement pour rétablir la santé mentale et/ou la peur» organisé par les humoristes Jon Stewart et Stephen Colbert.

Si les animateurs de la chaîne de télévision Comedy Central ont évité les allusions à la politique partisane, leurs fans ont fait preuve d'une moins grande retenue, se moquant notamment du Tea Party et de certaines vedettes du mouvement de contestation populiste et conservateur, dont Christine O'Donnell.

«Je ne suis pas une politicienne», pouvait-on lire sur l'affiche tenue par une femme déguisée en sorcière, une allusion facétieuse à une pub télévisée dans laquelle la candidate républicaine à l'élection sénatoriale du Delaware annonçait d'emblée qu'elle n'était pas «une sorcière».

Plusieurs participants ont également brandi des pancartes accusant Fox News et quelques-unes de ses vedettes - Glenn Beck et Sean Hannity en tête -, d'alimenter l'extrémisme politique. «Seuls les nazis sont des nazis», proclamait une affiche dénonçant les comparaisons parfois douteuses établies par les animateurs de la chaîne d'information conservatrice.

Dans son discours de la fin, Stewart a lui-même déploré les dérives et outrances du débat politique américain, les mettant sur le compte des commentateurs des chaînes d'information câblées et des politiciens démocrates et républicains de Washington. Contrairement aux autres Américains, ceux-ci ne semblent connaître qu'un mode de communication, celui de l'affrontement, a-t-il déploré.

«Les seuls endroits où les Américains ne travaillent pas ensemble, c'est ici et sur les chaînes câblées, a-t-il dit. Si nous amplifions tout, nous n'entendons rien.»

Avant de conclure le rassemblement sur cette note sérieux, Stewart et Colbert avaient échangé des gags entrecoupés de numéros musicaux mettant notamment en vedette Kid Rock, Sheryl Crow, Jeff Tweedy, Mavis Staples, Yusuf Islam, alias Cat Stevens, et Ozzy Osborne.

Plusieurs participants avaient parcouru de longues distances pour répondre à l'appel de Stewart et Colbert, citant des raisons qui n'avaient rien à voir avec l'humour des deux hommes.

«Nous devons défendre nos droits et tenir tête au Parti républicain», a dit Laura Herrera, une native de Phoenix, qui tenait une pancarte disant «Je viens d'Arizona, je m'excuse», une allusion à la loi sévère, voire discriminatoire, de cet État du Sud-Ouest pour lutter contre l'immigration illégale.

«Je voulais que les médias voient l'autre côté de la médaille», a pour sa part déclaré Gene Tackett, qui avait quitté la veille Bakersfield, en Californie, pour participer au rassemblement du duo Stewart-Colbert. «J'ai l'impression que les médias attachent beaucoup trop d'attention à ce que la droite fait, dit et pense.»

Jim Tarrent n'a pas eu à voyager très loin pour se rendre au Mall, vivant avec sa famille à Silver Spring, une ville du Maryland située en banlieue de Washington. Mais il semblait aussi ravi que les autres de se trouver parmi la foule, dont l'importance lui a semblé représenter un bon signe pour les élections de mi-mandat qui auront lieu mardi.

«C'est très encourageant, cela me rend optimiste», a-t-il dit.

Le «rassemblement pour rétablir la santé mentale et/où la peur» se voulait une réplique à Glenn Beck, qui avait organisé au même endroit fin août un «rassemblement pour rétablir l'honneur» auquel avait participé Sarah Palin. En annonçant l'événement, Jon Stewart avait annoncé son intention de célébrer la modération et de donner la parole «aux 80-85% des Américains qui ne sont pas des extrémistes».

Quant à Colbert, qui ne se départit jamais de son personnage d'animateur conservateur, il avait invité ses fans à «fulminer pour retrouver nos libertés» et à dénoncer «tous ceux qui cherchent à remplacer la peur par la raison».

Matthew Millward, un Torontois de 43 ans, a répondu à l'appel de Colbert. Déguisé en Stephen Harper, il a brandi une grande affiche sur laquelle il énumérait les choses dont les «Canadiens devaient avoir peur». On retrouvait parmi sa liste: les professeurs de Harvard, les registres d'armes à feu, les médias, Omar Khadr et les recensements long format.

«Les Américains n'ont pas le monopole de la peur», a déclaré Millward en imitant la voix du premier ministre Harper. «Je vais faire la même chose que Bush me maintenir au pouvoir. Je vais faire peur au monde.»

photo Reuters

L'animateur Stephen Colbert, déguisé en Evel Knievel, s'adresse à la foule.