Moins de trois semaines après être devenu président, Barack Obama s'était rendu à Elkhart, petite ville de l'Indiana très éprouvée par la crise économique. Dans un discours électrisant, il avait promis de remettre cette ville sur les rails. Près de deux ans plus tard, Elkhart attend toujours. Et la désillusion de ses habitants est un peu le baromètre de l'humeur qui règne ailleurs aux États-Unis, à la veille d'un scrutin qui risque de bouleverser le paysage politique du pays.

Le jour où Barack Obama a promis de sauver sa ville, Tera Moore était à une chaîne de montage de l'usine AM General, où elle assemblait des pare-brise de Hummer.

Autour d'elle, l'atmosphère était électrique. «Mes collègues suivaient l'événement sur leur cellulaire ou à la radio. C'était une très grosse affaire», se rappelle-t-elle.

Cela se passait le 9 février 2009, moins de trois semaines après la prestation de serment du nouveau président. À l'époque, le taux de chômage à Elkhart frôlait les 20%. Du jamais vu dans la «capitale mondiale du véhicule de plaisance» où, à peine quelques années plus tôt, des firmes attiraient leurs futurs employés à coups de primes de 500$.

Mère de quatre enfants en bas âge, Tera Moore se considérait comme chanceuse d'avoir encore un boulot qui lui assurait un salaire de 70 000$ par an. Partout, c'était la débandade. Les usines de caravanes fermaient les unes après les autres. Elles entraînaient des tas de commerces dans leur débâcle. Le château de cartes s'écroulait.

Dans son discours, le président Obama a promis de le reconstruire. Et, comme d'autres, la jeune ouvrière y a cru.

Mais quelques mois plus tard, elle a été à son tour emportée par la crise. Le constructeur de Hummer a mis à pied 400 employés. Tera Moore faisait partie du lot.

Depuis, elle ne gagne plus que 350$ par semaine - ses prestations de chômage. Son mari ne travaille plus qu'à temps partiel. Dans le bungalow familial, les factures impayées s'accumulent sur le comptoir de la cuisine. Et il y a 10 jours, surmontant un immense sentiment de honte, Tera Moore a fait appel, pour la première fois de sa vie, à une banque alimentaire.

Quand elle repense aux promesses d'Obama, Tera Moore est amère. «Il a mis la barre trop haut. Il ne s'est rien passé à Elkhart. Il n'y a pas de travail du tout.»

Il y a deux ans, portée par les promesses de changement, Tera Moore avait voté pour Barack Obama. Aujourd'hui, même si elle sait qu'il n'est pas responsable de tous les maux qui s'abattent sur sa ville, elle se demande si elle a bien fait. Et le 2 novembre, elle pourrait bien ne pas voter du tout... «Les politiciens sont tous pareils: ils disent ce que nous voulons entendre.»

Le sauvetage

Ce désenchantement est largement partagé, à Elkhart. Dans le quartier Meadows, où vit Tera Moore, les maisons basses sont déjà décorées pour l'Halloween et des voisins ratissent les feuilles mortes. Dans les jardins, il y a des piscines, des trampolines.

Mais derrière cette façade du rêve américain, il y a la voisine d'en face qui a perdu son travail dans le journal local et qui se demande comment elle va payer les soins médicaux dont a besoin son mari. Un autre voisin chôme depuis 18 mois.

Deux maisons ont été abandonnées par leurs propriétaires. La porte de l'une d'entre elles est entrouverte. Des voleurs s'y glissent parfois pour fouiner dans les effets abandonnés.

L'atmosphère de crise est omniprésente. Sur la porte des toilettes publiques, où est collée une publicité qui offre de l'aide aux propriétaires incapables de payer leur hypothèque. Dans les restaurants, qui annoncent des repas pour quatre à moins de 20$. À la radio, où l'on se demande si la classe moyenne existe toujours...

Qu'ils soient d'allégeance républicaine ou démocrate, qu'ils haïssent à mort Barack Obama ou qu'ils lui trouvent des circonstances atténuantes, les habitants d'Elkhart s'accordent à dire que la ville est loin, très loin de la guérison.

Pourtant, le fameux «stimulus» brandi par le président pour ressusciter l'économie du pays a injecté 40 millions de dollars dans la région d'Elkhart. «Il n'y a pas moyen de rouler sans tomber sur de l'asphalte tout noir», se réjouit le maire Dick Moore, admirateur de Barack Obama qui se décrit comme un incurable optimiste - le seul que j'aie croisé durant ce reportage.

Effectivement, grâce au financement fédéral, des routes ont été asphaltées à neuf, les égouts sont en voie de réfection et la rue principale est sens dessus dessous.

Certains de ces investissements ne font pas l'unanimité. La nouvelle piste de l'aéroport municipal, qui ne dessert que des jets privés, est perçue comme une dépense inutile. D'autres restent invisibles pour les habitants qui se battent pour joindre les deux bouts.

Fragile remontée

«Le chômage est passé sous la barre des 15%; nous sommes en train de remonter la pente», se félicite le maire Moore.

Mais cette statistique est trompeuse. Car les nouveaux emplois ne sont souvent que des jobs à temps partiel, sans avantages sociaux, au salaire dérisoire.

«Mon mari a gagné 104,63$ en deux jours de travail. Qu'est-ce que vous voulez qu'on fasse avec ça?» demande une femme à la conseillère des Community Church Services, organisation d'aide aux démunis.

«Le stimulus est censé nous aider, mais où sont les résultats?» demande-t-elle.

Oui, le taux de chômage a reculé, reconnaît Gregory Halling, directeur de l'information de l'Elkhart Truth, quotidien local. «Mais les gens souffrent. Et les organisations caritatives sont plus occupées que jamais.»

Le nombre de familles en détresse qui s'adressent aux Community Church Services ne cesse d'augmenter. «Nous avons reçu 260 nouvelles familles en juin, et 324 en septembre», dit le directeur, Dean Preheim-Bartel.

«C'est vrai que le taux de chômage à Elkhart a baissé plus vite qu'ailleurs», dit-il. Mais les nouveaux emplois sont précaires. Et les prestations de chômage ne sont pas éternelles. «Il n'y a pas de raison de s'exciter, rien ne nous projette vers l'avant.»

Le virage vert

La ville d'Elkhart n'est pas habituée à recevoir de la grande visite. Le dernier candidat à la présidence qui ait pris la peine d'y faire campagne était Robert Kennedy, en 1969.

Barack Obama y a serré des mains au printemps 2008. Quand il est revenu, en février 2009, il y a exposé sa vision de l'avenir. Les nouveaux emplois seront des emplois verts, avait-il promis. La firme Navistar, par exemple, devait recevoir des dizaines de millions pour construire des camions électriques et créer jusqu'à 700 emplois.

Mais Navistar n'a pas encore reçu la subvention promise. Et elle n'a créé qu'une poignée d'emplois pour tester des prototypes. Ce n'est pas vraiment la faute de Washington, dit son porte-parole, Roy Wiley. «Notre capacité de production est limitée, nous n'avons pas encore rempli toutes les exigences pour recevoir l'argent», explique-t-il.

Et puis, le cas échéant, les nouveaux emplois verts ne seront peut-être pas accessibles aux ouvriers d'Elkhart. «Ces emplois exigent une main-d'oeuvre plus qualifiée que ce qu'on trouve ici. Chez nous, il y a des gens qui ne savent pas utiliser un ordinateur pour remplir une demande d'assurance chômage, dit Gregory Halling. On ne se convertit pas aux emplois verts en appuyant sur un bouton.»

Il y a deux ans, les gens ont vraiment voulu croire Barack Obama mais, aujourd'hui, c'est la désillusion, constate le journaliste. À la décharge du président, plusieurs reconnaissent que, avant de créer de nouveaux emplois, son plan de sauvetage visait à freiner l'hémorragie à un moment où Chrysler et GM frôlaient la faillite.

Mais les électeurs ont la mémoire courte. Et ils sont impatients. «Les gens ne sont pas conscients de tous les emplois qui n'ont pas été perdus grâce au stimulus», dit Kyle Hannon, porte-parole de la chambre de commerce locale.

Quand il est venu y annoncer son plan de sauvetage, Barack Obama a fait d'Elkhart une sorte de baromètre du succès de sa présidence. Le maire Moore ne compte plus le nombre de journalistes nationaux et internationaux à qui il a donné des entrevues depuis deux ans.

Tous font le même constat: si Elkhart est le baromètre du climat économique et politique du pays, les démocrates ont intérêt à attacher leur tuque le 2 novembre.