De toutes les courses sénatoriales, celle du Nevada est la plus suivie par Washington. Harry Reid, sénateur le plus influent et principal allié de Barack Obama, pourrait perdre son poste le 2 novembre. Tout cela à cause d'une candidate méconnue dont les idées d'extrême droite faisaient rire les démocrates il n'y a pas si longtemps...

Au bout d'une heure sur l'autoroute 95, au sud de Las Vegas, la limitation de vitesse passe de 65 à 45 à 25 milles à l'heure.

Il y a un feu de circulation. Un petit restaurant. Un casino.

Un tourbillon de sable traverse la rue.

Vous voici à Searchlight, au Nevada. Un bled de 576 personnes où tout le monde semble avoir un chien mais pas de sonnette. Un endroit où l'on reçoit les visiteurs les bras croisés. Où les voitures démontées sont plus nombreuses que celles qui roulent.

Harry Reid, le chef de la majorité démocrate au Sénat, a grandi ici, dans une cabane en bois à peine capable de résister aux averses, sans eau courante.

«Mon père était mineur, ma mère faisait des lessives, a dit Reid dans un discours il y a quelques années. J'ai grandi au milieu de gens qui avaient des valeurs fortes - même s'ils en parlaient rarement.»

Aujourd'hui, Harry Reid est le sénateur le plus influent à Washington. Un coup de fil de sa part peut débloquer des millions, convaincre des donateurs de signer un chèque, faire entendre raison à un sénateur tenté de voter contre l'administration Obama.

Harry Reid est au sommet. Un endroit convoité.

«La tête de Harry Reid est le plus gros enjeu de cette élection, a écrit Rick Wilson, consultant républicain qui collecte des fonds auprès des adeptes du Tea Party. Faire tomber le chef de la majorité au Sénat serait un coup de maître - si vous pouvez y parvenir.»

La républicaine qui se présente contre lui, Sharron Angle, n'a ni son pouvoir ni ses relations. Élue à l'Assemblée du Nevada, appuyée par le Tea Party, Sharron Angle déteste Washington et tout ce que la capitale représente.

Mme Angle a déjà dit que le département de l'Éducation était «contre la Constitution». Elle veut mettre fin aux programmes de sécurité sociale et à Medicare, qui paie les médicaments des aînés. Ces programmes «sont brisés et ne peuvent être réparés», dit-elle.

Il y a quelques mois, ses idées de droite faisaient sourire les stratèges démocrates. Ses visées sont si controversées que même l'establishment républicain du Nevada ne la soutient pas publiquement.

Or, sa campagne a trouvé écho après des électeurs. Avec le plus haut taux de chômage, de faillites et de reprises bancaires aux États-Unis, le Nevada semble prêt à envoyer un message à Washington.

Mme Angle a reçu des millions de dollars de groupes conservateurs nationaux qui ont vu là une occasion en or de financer David contre Goliath. À 10 jours du vote, les sondages placent les candidats à égalité.

»Les gens ne font pas attention»

Les partisans de Harry Reid à Searchlight parlent de lui avec enthousiasme. Shannon Brown, 28 ans, qui habite une maison mobile entourée de jouets d'enfant, est fière de son appui aux centrales d'énergie solaire prévues dans la région.

«Harry Reid fait de bonnes choses pour le Nevada, mais les gens ici ne font pas attention, dit-elle. La majorité des gens ne sont pas politisés. Bon nombre veulent voter contre Washington, et Harry Reid incarne Washington.»

La crise économique qui frappe le Nevada est visible dans la région. Les gens travaillent moins, et ceux qui travaillent ont peur de perdre leur emploi. Au centre de Searchlight se trouve la rue Harry Reid. Elle donne sur un quartier en construction abandonné, dont la majorité des terrains sont en friche.

John Harmond habite avec son frère et sa femme, dans une maison mobile cuite par le soleil. Il exploite les manèges à Primm, une petite ville de casinos située sur la frontière avec la Californie.

Il ne connaît pas Harry Reid personnellement, mais il a souvent entendu parler de lui. Sa grand-mère, dit-il, s'est souvent occupée de Harry Reid quand il était jeune.

«Harry Reid vient rarement à Searchlight, dit M. Harmond, pendant que son fils joue avec son chien boxer à ses pieds. Quand il vient, c'est avec des VUS noirs et des agents des services secrets. Je crois qu'il utilise Searchlight pour avoir l'air de faire partie du peuple, des gens ordinaires. Il n'est plus d'ici. Il est de Washington.»

Sharron Angle alimente volontiers cette perception. Dans une récente publicité, elle parle du train de vie opulent du sénateur. «Harry Reid habite au Ritz-Carlton de Washington pendant que des milliers de personnes perdent leur maison» dit la publicité, qui montre un grandiose appartement-terrasse.

Dans les faits, Harry Reid possède un petit appartement, au deuxième étage des Résidences Ritz-Carlton, une tour où loge également Carly Fiorina, candidate républicaine appuyée par le Tea Party en Californie.

Confiante et énergique

Ces jours-ci, la campagne de Harry Reid dépeint Sharron Angle comme une extrémiste dont les idées devraient faire peur à l'électorat.

«Elle est dangereuse pour le Nevada, a dit Reid, jeudi. Elle veut interdire l'avortement, même dans les cas d'inceste. Ce sont des positions qu'elle compte défendre.»

Or, cette tactique semble avoir échoué: en public, Mme Angle est confiante, énergique et s'exprime avec aisance. Bref, elle n'inspire pas la crainte.

Lors de leur seul débat, la semaine dernière, Angle a lancé: «Man up, Harry Reid!» (Ce que l'on pourrait traduire par: «Fais un homme de toi!») La réplique a fait mouche. Malgré son succès et son pouvoir, Reid est mal à l'aise en public, et sa voix est ténue. Angle est souriante et fière d'être la candidate anti-establishment.

Désormais, Sharron Angle joue la carte de la prudence. Elle ne se rend plus aux rassemblements partisans et ne donne pas d'entrevues. Un tsunami de publicités accusant Harry Reid d'avoir trahi le Nevada s'abat sur les ondes de la télé et de la radio.

«Nous avons besoin d'une presse amicale, a-t-elle dit sur les ondes de Fox News l'été dernier, pour justifier son refus de tenir des points de presse et d'accorder des entrevues. Nous voulons qu'elle pose les questions auxquelles nous voulons répondre, et qu'elle rapporte les nouvelles de la façon dont nous voulons qu'elles soient rapportées.»