Maurice Marcoux se déplace avec les précautions de ses 90 ans. Il y a 68 ans, il filait à 650 km/h.

Au sommet d'une étagère, dans son petit appartement de la rue St-Jean, à Québec, un modèle de Typhoon est déposé. Cet appareil devait être le plus rapide avion de chasse britannique. « Mais il n'était pas maniable », raconte l'ancien pilote. « C'était un vrai camion. » De ses deux mains bleuies par l'âge, il reprend les gestes de tous les pilotes militaires depuis 1914 : il mime les positions de deux appareils. Le chasseur allemand virait plus serré. Dangereux.

Le Typhoon a rapidement été transformé en chasseur-bombardier. C'est alors qu'il a prouvé son utilité. Il intervenait à la demande de l'infanterie pour attaquer une colonne de blindés, faire taire une batterie de canons, réduire une position solidement défendue.

C'était la hantise des fantassins allemands, et plus d'un pilote abattu du mauvais côté des lignes a chèrement payé la terreur que ses confrères infligeaient.

Plus haut, plus vite...

Quand il s'est engagé, en 1940, Maurice Marcoux a fait inscrire sur le formulaire qu'il voulait être pilote, à défaut de quoi il se retirerait. « Je ne le pensais pas, mais ça a marché ! » À la fin de 1941, le nouveau pilote a été envoyé en Angleterre, où il a joint une escadrille britannique, microcosme avant l'heure des Nations Unies - des Anglais, des Américains, des Australiens, des Néo-Zélandais, et un Québécois : lui.

Au début 42, il a fait (enfin) ses premières missions de patrouille défensive de nuit en Écosse, sur le vieil Hurricane. L'appareil avait fièrement tenu son bout durant la Bataille d'Angleterre, mais il était à présent dépassé. « Je me disais : ça va être le fun ! Mais les appareils allemands étaient en haut et nous en bas, et on ne pouvait pas monter plus haut ! » Déception...

Il est ensuite passé sur le Typhoon, encore en phase de rodage. Son avion pouvait porter quatre bombes totalisant 2000 lb. « J'ai déjà vu des ailes arrachées », assure-t-il.

Le Typhoon était capricieux et difficile à piloter. « En partant, décrit-il, il fallait mettre la pédale au fond à gauche, sinon tu partais tout de suite à droite. »

Un instructeur avec plus d'un millier d'heures de vol avait demandé à être muté dans son escadrille parce qu'il voulait piloter ce rapide appareil. Déjà un vieux routier, Maurice Marcoux lui a conseillé de s'entraîner d'abord une quinzaine de jours. Puis l'autre s'est déclaré prêt. « Je lui ai dit : tu vas être mon numéro deux », c'est-à-dire le coéquipier qui suit légèrement en retrait et protège les arrières du meneur. « On descend pour bombarder, puis tu remontes à côté, tu vas me voir en haut, et on revient. Il n'est jamais revenu. Est-ce qu'il a eu peur ? Est-ce qu'il a pris trop d'obus antiaériens dans le visage ? Est-ce qu'il n'a pas tiré sur le manche à temps ? Je ne sais pas : il est tombé. »

La mort était fréquente. « On se disait que ce n'était pas notre tour. Puis j'ai vu mon chum se faire descendre. Je me suis demandé pourquoi ce n'était pas moi. On revenait avec des trous dans les ailes et on se disait chanceux parce qu'ils n'avaient pas atteint le moteur. Il y a de la chance, aussi... »

Il a tout de même été abattu. Il s'est posé dans un champ, fauchant deux ou trois vaches au passage, à la grande colère du fermier.

Quand le temps était couvert et les nuages trop bas pour les missions au front, les pilotes avaient libre cours. Avec son coéquipier, il prenait alors la direction de Paris, où les gares regorgeaient de matériel militaire. Ils volaient trop bas pour les radars - Maurice Marcoux donne en exemple un plafond à 500 pieds. « Et j'aimais voler bas », précise-t-il. « Quand tu arrives à Paris, tu fais le tour, tu tires au canon, et quand c'est fini, tu rentres. » Une sortie dominicale, à l'entendre.

Il a fait deux missions sur le Spitfire et deux autres sur le fameux Mustang, le meilleur chasseur à pistons de la Seconde Guerre mondiale. Mais il s'agissait de missions de reconnaissance photographique. Trop peu d'adrénaline. « Je suis retourné à mon escadrille. »

Maurice Marcoux a fait 125 sorties sur le Typhoon. C'était plus de deux fois le nombre de missions nécessaire pour compléter un « tour », à la fin duquel un pilote était retiré des missions de combat. « Moi, j'ai continué. À un moment donné, j'ai commencé à aimer ça. »

Le Typhoon n'était pas taillé pour le combat aérien. Son pilote pouvait toutefois compter sur sa vitesse. Si un chasseur allemand se pointait, le salut était dans la retraite. Maurice Marcoux engageait alors la suralimentation. « C'était comme un coup de pied au derrière, ça pétait de partout. » Après cinq minutes, il fallait revenir au régime normal, sinon le moteur explosait. Mais l'opposant était déjà semé.

Maurice Marcoux m'a lentement raccompagné à sa porte.