La gigantesque crue de l'Indus n'a pas englouti la plus célèbre nécropole du Pakistan, perchée sur les collines méridionales de Makli. Mais elle en a fait en quelques jours un immense camp de réfugiés improvisé où la faim et la colère nourrissent un début d'anarchie.

La nuit va bientôt tomber et la tension monte au bord de la route qui serpente entre les collines ocre. Husain Mala, 25 ans, et une vingtaine d'autres jeunes réfugiés de Sujawal, une ville de 120 000 habitants inondée à une trentaine de km de là, observent la circulation. Au cas où.

En plein ramadan, c'est la dernière heure de jeûne de la journée. Le terme d'une longue journée passée sous un soleil de plomb et par 40 degrés.

Et l'un des moments les plus tendus, voire violents. Depuis l'arrivée, sur les flancs rocailleux de ces collines, de dizaines de milliers de paysans chassés par les eaux, qui ont fait céder des digues et englouti sans mal leurs maisons de terre séchée.

Certains campent à l'ombre au milieu des mausolées de pierre ciselée, d'autres font paître leurs troupeaux entre les tombes des dizaines de milliers de saints de l'islam soufi.

Vers 19h00, tous iront rejoindre leurs familles pour partager l'iftar, le repas de rupture du ramadan, qui s'annonce maigre: ils n'ont avec eux que quelques biens emportés en hâte avant l'arrivée des flots.

Certains ont bien un peu d'argent ou de quoi tenir quelques jours, «mais on le réserve à nos enfants, pour qu'ils puissent survivre», explique Gulam Qadir, la cinquantaine, suant sous son bout de tissu mauve recyclé en turban.

La crise alimentaire à Makli est d'autant plus grave que Thatta, la grande ville située à quelques kilomètres, a été en grande partie évacuée de ses 300 000 habitants. Et ses commerces et marchés également.

La camionnette d'une ONG s'arrête devant un petit groupe de tuniques roses et violettes qui implorent la clémence: des femmes et des enfants. Elle leur jette un carton et redémarre aussitôt, alors que des dizaines de personnes dévalent déjà les collines dans sa direction.

Au prix parfois d'une bagarre acharnée, certains mettront la main sur un sac de farine, de légumes secs, de riz ou de sucre.

Mais des réfugiés affamés, notamment les jeunes hommes, n'hésitent pas à tenter de s'accrocher aux camions d'aide.

«Ils nous traitent comme des animaux. Ils nous jettent des cartons et laissent les gens se battre, ou passent sans rien donner du tout», peste le petit Husain Mala, la tignasse brune en bataille.

Aucun incident majeur n'a été rapporté jusqu'ici à Makli. La police dit la situation «sous contrôle», évoquant juste «quelques incidents mineurs». «Deux ou trois personnes sont tombées des camions en marche et ont le bras ou la jambe cassé», précise Husain.

La situation inquiète les autorités, qui disent tenter d'orienter les réfugiés vers des camps. «Nous en avons ouvert un pour 40 000 personnes à Karachi (à plus de 100 km de là), mais personne n'y est venu jusqu'ici, alors qu'on leur y garantit toute l'aide dont ils ont besoin», a déploré samedi Zulfiqar Mirza, le ministre de l'Intérieur de la province du Sind.

Pas de quoi convaincre le grand Babur Salangi, 31 ans, venu lui aussi de Sujawal, qui pense comme tant d'autres qu'«il n'y a pas d'aide dans les camps».

Il tient à remercier le gouvernement car «il nous a sauvé la vie en envoyant des camions nous chercher alors que nous étions menacés par les eaux».

Mais à quelques minutes de l'iftar, il est moins indulgent en évoquant cette nourriture qui n'arrive pas. «Comment voulez-vous que je fasse l'iftar? Je n'ai que ça!», dit-il en montrant sa vieille chemise verte.