Les dons pour le Pakistan entraient toujours au compte-gouttes hier, alors que les Nations unies avaient récolté près du tiers des 460 millions requis pour l'aide d'urgence.

«C'est le plus grand désastre naturel des dernières années, et pourtant, la réaction des donateurs est très tiède. Cela contraste de façon marquée avec ce qui s'est passé pour Haïti», observe le politologue Jorge Heine, du Centre pour l'innovation dans la gouvernance internationale, établi à Waterloo.

«C'est politique, avance-t-il en entrevue. Le Pakistan a été décrit comme le pays le plus dangereux du monde. Il exporte des terroristes. Des documents montrent que ses services secrets appuient les talibans. C'est un cocktail explosif. Les gens se sentent menacés.»

Hier, plusieurs abondaient dans le même sens. «Les sinistrés sont des mères, des enfants, mais dans le passé, les informations relatives au Pakistan étaient toujours liées aux talibans ou au terrorisme», a déclaré Melanie Brooks, porte-parole de l'ONG CARE International à Genève.

«On remarque souvent un déficit d'image en ce qui concerne le Pakistan dans les opinions publiques occidentales», a confirmé une porte-parole du Bureau de coordination des affaires humanitaires de l'ONU, Elisabeth Byrs.

Les Canadiens moins généreux

Au Canada, la population se montre assurément moins généreuse que d'ordinaire. Depuis une semaine, les Canadiens ont versé 200 000$ à la Coalition humanitaire formée par CARE, Aide à l'enfance, Oxfam et Oxfam-Québec. Après le séisme en Haïti, en autant de jours, ils avaient versé presque 18 fois plus.

Pourtant, le Canada compte  encore plus d'immigrés pakistanais qu'haïtiens (125 000 contre 102 000 selon le dernier recensement).

«C'est une crise qui est lente, moins spectaculaire aux nouvelles et les gens sont en vacances», analyse Marie-Ève Bertrand, directrice du développement à CARE.

Maintenant qu'un premier cas de choléra aurait été signalé, c'est toutefois «une course contre la montre pour secourir les gens» et leur fournir de l'eau non contaminée, prévient la Coalition.

Lorsqu'une épidémie de choléra a frappé des camps de réfugiés, après le génocide rwandais, le président de CARE, Kevin McCort, a vu jusqu'à 5000 ou 10 000 personnes mourir en une seule journée. «Le nombre de morts était horrifiant. Principalement des femmes et des enfants», écrit-il sur son blogue.

La médiatisation pourrait encore jouer un rôle immense, affirme Myrian Marotte, porte-parole de la Croix-Rouge canadienne. Après le dernier séisme au Pakistan, les Canadiens ont ainsi donné 20 millions. Alors qu'il s'agit du même pays et du même système politique.

Selon Sami Aoun, professeur à l'Université de Sherbrooke, la proximité joue aussi un rôle. «Haïti est sur le continent américain et c'est le pays le plus pauvre. Il y a un sentiment de culpabilité à son égard. Les gens se disent peut-être qu'aider le Pakistan revient plutôt aux pays musulmans riches des environs.»

Les dirigeants pakistanais ont banalisé les inondations en poursuivant leur tournée diplomatique en Europe alors que le déluge ravageait leur pays, ajoute le politologue.

«Le système politique pakistanais n'inspire pas confiance et les dirigeants ne sont pas aussi honnêtes qu'ils le devraient, avance de son côté l'ex-président de l'Association pakistanaise de Montréal Zaheer Abbase. Mais le pire risque, c'est qu'une partie de l'argent soit gaspillée. L'argent n'ira sûrement pas aux talibans.»

«Au contraire, suggère ce Montréalais de longue date, c'est l'occasion de montrer aux Pakistanais que nous nous soucions de leur sort pour qu'ils ne se tournent pas de l'autre côté (celui des radicaux) parce qu'ils leur donnent un bout de pain et un abri.»

«Quoi qu'on pense de l'antiaméricanisme pakistanais, le droit de secours est devenu une obligation en droit international», renchérit Sami Aoun.

En date d'hier, les États-Unis avaient versé près de 62 millions US aux Nations unies. Le Canada a versé 1,2 million US à l'ONU, mais s'est engagé à en verser 22,3 millions US de plus, ce qui en fera le deuxième donateur.

Au Royaume-Uni - qui a versé 21,4 millions -, le vice-président Nick Clegg a déploré la somme «misérable» réunie jusqu'ici. La Suisse, la France, la Belgique, l'Espagne, l'Italie et l'Allemagne ont chacune versé moins d'un million.