Les islamistes tunisiens au pouvoir ont exclu mardi de céder à la rue, quelques heures avant une manifestation appelée par une hétéroclite coalition d'opposition qui réclame la démission du gouvernement pour sortir d'une crise déclenchée par l'assassinat d'un opposant.

«Il y a des demandes excessives, dont la dissolution d'un gouvernement qui a remporté la confiance du Parlement, par le biais de manifestations», a estimé Rached Ghannouchi, chef du parti islamiste Ennahda, dans le quotidien La Presse.

«Dans les régimes démocratiques, les manifestations ne changent pas les gouvernements, c'est dans les régimes dictatoriaux qu'une manifestation est en mesure de faire tomber le régime», a-t-il ajouté.

L'opposition organise un rassemblement mardi soir (à partir de 16h EDT) qu'elle espère très important, après une dizaine de jours de manifestations nocturnes de quelques milliers de personnes.

Cette coalition allant de l'extrême gauche au centre-droit veut arracher le départ du gouvernement et la dissolution de l'Assemblée nationale constituante (ANC) après la mort le 25 juillet de l'opposant Mohamed Brahmi, imputé par les autorités à la mouvance salafiste.

Le rassemblement marquera en outre les six mois du meurtre d'un autre détracteur d'Ennahda, Chokri Belaïd, tué le 6 février.

«Ennahda et le gouvernement entraînent le pays vers la destruction. Aujourd'hui le gouvernement partira, sera remplacé par un autre», a martelé à l'antenne de la radio Express-Fm la veuve de M. Belaïd, Besma Khalfaoui.

«Le gouvernement sera obligé d'écouter la voix de la rue», a-t-elle ajouté.

Favorable à la chute du cabinet, mais opposée à la dissolution de l'ANC, la puissante centrale syndicale UGTT, forte d'un demi-million de membres, a appelé à rejoindre la manifestation. Le patronat tunisien, l'Utica, a lui renouvelé un appel à la formation d'un gouvernement de technocrates.

Ce rassemblement vise aussi à répondre à la démonstration de force d'Ennahda qui a réuni des dizaines de milliers de ses partisans à Tunis dans la nuit de samedi à dimanche.

Le premier ministre Ali Larayedh a proposé à maintes reprises d'élargir le gouvernement et de tenir des élections en décembre. Les islamistes ont aussi évoqué, sans réelles précisions, un référendum sur la poursuite de la «transition» post-révolutionnaire.

Mais la Tunisie, deux ans et demi après sa révolution et 21 mois après l'élection de l'ANC, n'a ni constitution ni loi électorale permettant l'instauration d'institutions pérennes.

L'Assemblée était, elle, réunie mardi en séance plénière pour débattre de la menace «terroriste», alors qu'outre la traque des assassins des opposants, une opération militaire est cours au mont Chaambi, à la frontière algérienne, pour «éradiquer» un groupe armé lié à Al-Qaïda et responsable d'une embuscade ayant coûté la vie à huit soldats lundi, selon le gouvernement.

Dans l'hémicycle, le siège du député Brahmi était recouvert de fleurs et du drapeau tunisien pour l'occasion, et certains députés ont pleuré lors des prières et du chant de l'hymne national en sa mémoire.

M. Larayedh en a profité pour affirmer que les actions de protestation mettaient à mal les efforts des forces de sécurité.

«La multiplication des manifestations et des sit-in perturbe les agents des forces de sécurité qui sont obligés d'être dans les rues alors qu'ils devraient participer à des opérations de lutte contre le terrorisme», a-t-il déclaré, appelant «tous les partis (...) à renforcer l'union nationale».

«Nous étions les initiateurs du Printemps arabe, soyons les initiateurs d'un état démocratique par des moyens pacifiques», a dit le chef du gouvernement.

Les ministres de la Défense et de l'Intérieur ont pour leur part indiqué que les opérations militaires et policières contre la mouvance jihadiste se poursuivaient, résumant une nouvelle fois les arrestations des derniers jours à travers le pays.

Au Mont Chaambi, les opérations militaires se poursuivront «jusqu'à ce que tous les éléments terroristes soient tués ou arrêtés», a déclaré le ministre de la Défense, Rachid Sabbagh promettant une coopération renforcée avec Alger.

Enfin, une soixantaine de députés boycottant l'assemblée ont contesté dans la rue la légalité de la séance plénière de l'ANC, son «bureau», seul habilité à fixer l'ordre du jour, ne pouvant se réunir en raison du refus de siéger de la moitié des élus la composant.