L'islamiste tunisien Ali Larayedh n'avait rien divulgué dimanche de ses efforts pour former un gouvernement, deux jours après sa désignation, tandis que le reste des politiques exprimaient des exigences divergentes, signe des difficultés à surmonter dans les prochains jours.

Depuis sa promesse vendredi de former un cabinet «pour tous les Tunisiens et Tunisiennes», M. Larayedh ne s'est plus exprimé, alors que le ministre de l'Intérieur appelé à devenir premier ministre a la lourde tâche de former une équipe consensuelle à même de sortir la Tunisie de la profonde crise politique qui a suivi l'assassinat de l'opposant Chokri Belaïd le 6 février.

Ni lui ni son parti Ennahda n'ont donné la moindre indication sur son calendrier de consultations.

Mais les représentants de différents partis, les dirigeants du mouvement islamiste Ennahda en tête, multiplient les déclarations sur la composition du futur gouvernement qui doit légalement être présentée au président Moncef Marzouki avant le 8 mars.

Ainsi, dans une série d'entretiens publiés samedi et dimanche, le puissant chef d'Ennahda, Rached Ghannouchi, a annoncé qu'un cabinet alliant cinq formations politiques serait annoncé avant la fin du mois.

Ce gouvernement regrouperait ses deux alliés actuels de centre gauche --le Congrès pour la République (CPR) du président Marzouki et Ettakatol-- le Wafa (dissidents du CPR) et le groupe parlementaire de tendance islamiste «Liberté et dignité».

Aucun de ces mouvements n'a confirmé l'annonce. Et pour cause: le CPR comme Ettakatol réclament que les ministères régaliens soient confiés à des indépendants, ce à quoi les islamistes sont réticents et le Wafa est opposé.

Par ailleurs, le chef du groupe parlementaire d'Ennahda, Sahbi Attig a lui assuré qu'une demi-douzaine de ministères tenus par son parti et ses deux alliés ne changeront pas de mains.

En théorie, avec 89 députés, Ennahda peut réunir assez facilement la majorité nécessaire de 109 élus sur 217 à l'Assemblée nationale constituante (ANC), mais M. Larayedh doit trouver un soutien bien plus large pour pouvoir prétendre à sortir la Tunisie de sa crise.

Car si l'assassinat de Chokri Belaïd a fait imploser le gouvernement sortant de l'islamiste Hamadi Jebali, qui militait pour un cabinet de technocrates contre l'avis d'Ennahda, cela fait en réalité des mois que la vie politique est paralysée.

Après 16 mois de débats, la rédaction de la Constitution est dans l'impasse faute d'accord sur la nature du régime politique, bloquant l'organisation de nouvelles élections pour achever la «transition postrévolutionnaire» entamée en janvier 2011 avec la chute du régime de Zine El Abidine Ben Ali.

Et pour adopter la loi fondamentale, une majorité des deux-tiers est nécessaire à l'ANC.

Dès lors le quotidien La Presse, dans son édition dominicale, s'en prend vivement aux annonces de M. Ghannouchi.

«Ses affirmations sont en contradiction flagrante avec la volonté exprimée par le chef du gouvernement désigné de faire en sorte (...) que son gouvernement soit le gouvernement de tous les Tunisiens sans exclusion ni marginalisation», regrette ce journal.

Par ailleurs, si, comme le dit Rached Ghannouchi, Ali Larayedh dispose de «bonnes relations avec toutes les composantes de la classe politique», son bilan très mitigé au ministère de l'Intérieur lui vaut aussi bien des critiques.

L'essor d'une mouvance salafiste violente depuis 18 mois et la répression de manifestations sociales, comme celle des émeutes de Siliana (nord-est) en novembre (300 blessés) sont ainsi mis sur son compte.

«Comment donc récompenser cet échec par la présidence du gouvernement?», s'est insurgée Maya Jribi, secrétaire générale du Parti républicain, formation de l'opposition laïque.

Enfin, l'assassinat de Chokri Belaïd n'a toujours pas été élucidé, et ses proches accusent Ennahda d'en être directement responsable.