Il menait une vie de pacha et engrangeait les millions dans ses comptes bancaires du monde entier avant la révolution tunisienne. À en croire son avocat, Belhassen Trabelsi dépend désormais de la charité de ses amis pour survivre, cloîtré dans un appartement de Montréal dont il ne sort qu'en cas d'extrême nécessité.

«Il ne vit que de l'aide de ses amis maintenant, parce que tout son argent est bloqué dans les banques, soutient l'avocat Mohamed El-Hedi El Ekhoua. Il vit en cachette. Il ne sort que la nuit ou lorsqu'il est obligé de le faire. Il est loin de sa famille et de ses amis, alors il va très mal. Il a perdu 40 kilos.»

Trabelsi ne semblait pas manquer d'argent à son arrivée à Montréal. Selon la GRC, il a choisi un appartement dont le loyer s'élevait à 5000$ par mois. Il a payé des milliers de dollars à une firme de sécurité pour assurer sa protection et celle de sa famille. Et il a signé un chèque de 28 000$ à une école privée de Westmount pour les trois premiers mois d'études de ses filles.

Demande d'asile

Le 4 mai, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté l'appel de Trabelsi et de sa famille, qui tentaient de récupérer leur statut de résident permanent au Canada. D'autres recours s'offrent à eux avant qu'ils soient expulsés du Canada. Mais leurs chances d'obtenir l'asile sont minces, d'autant que Trabelsi a été condamné à 15 ans de prison par contumace en Tunisie.

En avril, Trabelsi a écrit une lettre d'excuses au peuple tunisien - que plusieurs ont vu comme une tentative de préparer le terrain pour son éventuel retour forcé au pays.

Selon son avocat, Trabelsi tente plutôt de s'expliquer. «Il ne dit pas qu'il est un ange. C'est un homme d'affaires pur et dur qui a beaucoup profité d'une certaine situation. Dans la mesure où il était le beau-frère de l'ancien président, les banques et l'administration tunisienne lui donnaient tout ce qu'il voulait. Mais c'est tout. Il n'a rien volé à personne.»

Les amis de Trabelsi au canada

Quand son jet privé a atterri à Montréal, le 20 janvier 2011, Belhassen Trabelsi a été accueilli à l'aéroport par Elias Noujaim, un entrepreneur d'origine libanaise établi dans l'ouest de Montréal.

Avant la chute du régime tunisien, M. Noujaim gérait les affaires de Trabelsi au Canada. Il était secrétaire général de sa société en portefeuilles, Gestion Tucan Inc. Il détenait aussi une procuration lui donnant accès à ses comptes à la Banque Nationale du Canada.

«Je le connais comme ça, pas plus, pas moins, affirme pourtant M. Noujaim dans un bref entretien téléphonique. On a fait un projet ou deux ensemble.»

Interrogé par un enquêteur de l'Agence des services frontaliers du Canada, Trabelsi a déclaré avoir investi dans cinq projets immobiliers au pays, mais que son entreprise était «dormante» depuis 2007.

Promoteur immobilier, entrepreneur en construction d'égouts, Elias Noujaim est aussi un spéculateur.

Il est notamment propriétaire d'un vaste terrain boisé sur lequel devrait être construit l'hôpital régional de Vaudreuil-Dorion. Des écologistes ne comprennent pas la logique de dézoner cette forêt d'arbres centenaires, alors qu'un terrain industriel est disponible à quelques kilomètres.

Un autre homme de main de Trabelsi au Canada est l'avocat Donald Kattan.

Le 6 décembre, la GRC a mené une perquisition au bureau de Westmount de Me Kattan. En vertu de la Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus, l'avocat risque cinq ans de prison s'il s'avère qu'il a administré les avoirs de Trabelsi au Canada.

Le 24 avril, la Cour supérieure a ordonné la levée des scellés sur une boîte de documents saisis à Westmount. L'enquête de la GRC déterminera si des accusations seront portées contre Me Kattan, représenté dans cette affaire par Jeffrey K. Boro, avocat bien connu qui a notamment défendu le fraudeur Earl Jones.

Les traques des avoirs de Trabelsi

20 janvier 2011

Belhassen Trabelsi et sa famille atterrissent à l'aéroport Montréal-Trudeau à bord d'un jet privé. Ils avaient fui la Tunisie six jours plus tôt à bord de leur yacht, en direction de l'Italie.

24 janvier 2011

Un virement de 1,4 million de dollars est déposé dans un compte en fidéicommis de Péloquin Kattan, une firme d'avocats de Westmount. L'argent provient d'un compte de Trabelsi au Liban.

31 janvier 2011

L'ambassadeur de la Tunisie à Ottawa demande au gouvernement de Stephen Harper de prendre des mesures pour geler les avoirs du clan Ben Ali, évalués de 10 à 20 millions au Canada.

23 mars 2011

Le Parlement canadien promulgue la Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus. Les institutions financières doivent identifier les actifs liés aux dictateurs déchus et les signaler à la GRC.

6 décembre 2011

La GRC effectue une perquisition au bureau de Donald Kattan. L'avocat est soupçonné d'avoir administré illégalement les avoirs de Trabelsi au Canada. Il risque cinq ans de prison.

15 mars 2012

Ottawa révèle avoir saisi la résidence d'un gendre de Ben Ali à Westmount, évaluée à 2,55 millions de dollars, ainsi que des comptes bancaires d'une valeur totale de 122 000$.

24 avril 2012

Un juge de la Cour supérieure ordonne la levée des scellés sur une boîte de documents saisis au bureau de Me Kattan. Les documents sont confiés à la GRC jusqu'au 30 septembre.

Des sommes faramineuses

122 000 $

Somme d'argent saisie dans les comptes bancaires du clan Ben Ali au Canada

5 000 000 000

Estimation en dollars de la fortune du clan Ben Ali, dont 10 à 20 millions de dollars au Canada