Mustapha Ben Jaafar, élu mardi président de l'Assemblée nationale constituante tunisienne, s'est dit «fier» de diriger l'institution qui rédigera la Constitution d'une «nouvelle Tunisie démocratique», et «confiant» d'accompagner son pays «à bon port».

«Je ressens un sentiment de fierté et de reconnaissance à ce peuple qui a fait cette révolution qui ne fut pas vaine», a-t-il déclaré à l'AFP. «J'ai aussi le sentiment d'une très lourde responsabilité pour être à la hauteur des sacrifices de notre peuple et particulièrement de ses jeunes», a ajouté M. Ben Jaafar, fondateur et chef du parti de gauche Ettakatol (20 élus). Le président de la constituante a fait état de son sentiment d'«optimisme constant fondé sur la maturité de la classe politique tunisienne pour conduire la Tunisie à bon port et lui éviter tout dérapage». M. Ben Jaafar a été élu mardi par un vote à bulletins secrets par 145 voix contre 68 à Maya Jribi, dirigeante du parti démocrate progressiste (PDP, centre gauche).

Son élection à ce poste est le résultat d'un accord conclu avec le parti islamiste Ennahdha qui dispose de 89 sièges sur les 217 que compte l'assemblée et avec le Congrès pour la république (CPR, 29 élus) de Moncef Marzouki, candidat désigné à la présidence du pays. Cet accord, qui prévoit aussi que le gouvernement sera dirigé par l'islamiste Hamadi Jebali, a été paraphé à la veille de la première réunion de l'assemblée après de longues tractations politiques entre les trois principaux partis gagnants de l'élection du 23 octobre.

Au sein de la Constituante, M. Ben Jaffar a indiqué que Ettakatol «défendra un projet de société basé sur les principes républicains et les valeurs universelles des droits de l'homme». «Que le peuple tunisien soit rassuré, son choix a été respecté. Et ensemble nous mènerons le pays à bon port», a-t-il lancé.Outre la rédaction d'une Constitution pour un pays démocratique, M. Ben Jaafar se donne pour priorités le décollage économique de la Tunisie et la défense des libertés en collaboration avec «(son) ami de combat» Moncef Marzouki, a-t-il dit.

Médecin de formation et ancien opposant au régime de Ben Ali, Mustapha Ben Jaafar, 71 ans, a la réputation d'un homme à la fois intransigeant sur les principes et pragmatique dans sa pratique politique.

L'Assemblée constituante élue le 23 octobre lors des premières élections libres en Tunisie a solennellement ouvert mardi ses travaux, dix mois après la fuite de l'ancien président Zine El Abidine Ben Ali.

«Je déclare ouverte la première séance de l'Assemblée constituante», a déclaré l'élu le plus âgé de la Constituante, Tahar Hamila, président de la séance, devant l'Assemblée réunie au palais du Bardo, siège de l'ancien parlement à Tunis.

Les députés ont alors chanté l'hymne national tunisien sous la coupole du palais du Bardo. Lustre de cristal, armoiries de la République tunisienne et corans sur lesquels prêter serment: tout le décorum était en place pour cette réunion historique. Ils ont ensuite récité la première sourate du coran, en hommage aux «martyrs» de la révolution tunisienne.

«En ce moment historique, nous posons la première pierre de la deuxième république pour un État de liberté, de justice et de dignité, qui sera appelé à réaliser les objectifs de la révolution», a déclaré M. Hamila.

Le chef du parti islamiste Ennahdha, Rached Ghannouchi, a exprimé son «immense bonheur» de voir se mettre en place une «première assemblée constituante élue démocratiquement (...) je rends grâce à Dieu, aux martyrs et blessés et à tous ceux qui ont lutté pour que nous vivions ce jour historique. Pour ce jour des générations entières ont donné leur vie», a-t-il déclaré à l'AFP.

Selon lui, le prochain gouvernement aura pour tâches urgentes de s'occuper des familles des martyrs de la révolution et de s'attaquer au fléau du chômage», principale cause du soulèvement de décembre et janvier derniers.

La société civile affiche sa vigilance

Le président tunisien par intérim Fouad Mebazaa, qui a dirigé la Tunisie depuis la chute de Ben Ali le 14 janvier, prononce dans l'après-midi une allocution. Puis les députés vont élire le président de la Constituante et de ses deux vice-présidents.

Ces derniers, les deux plus jeunes élus, âgés de 23 ans, Rabia Najlaoui, une diplômée, et Tarek Bouaziz, directeur d'école, sont tous deux membres de la Pétition Populaire. Cette formation indépendante qui a créé la surprise aux élections en raflant 26 sièges est dirigée par un fantasque homme d'affaires tunisien basé à Londres.

Avant l'ouverture de la séance, quelques centaines de personnes ont manifesté devant le palais du Bardo pour rappeler aux députés que la société civile «les a à l'oeil», selon la formule d'un manifestant.

Femmes, démocrates, familles des «martyrs» de la Révolution, représentants de la société civile, brandissaient des pancartes sur lesquelles on pouvait lire: «ne touchez pas au Code du statut personnel» (de la femme), «non à l'extrémisme», «n'oubliez pas les martyrs».

La députée islamiste Souad Abderrahim, qui avait violemment critiqué les mères célibataires, a été prise à partie à son arrivée au palais par des manifestants qui lui ont crié: «Dégage!».

L'Assemblée constituante, outre la formation du nouvel exécutif, aura pour principale mission de rédiger une nouvelle Constitution et de légiférer jusqu'aux prochaines élections générales, en principe dans un an.

Face à la majorité Ennahdha/CPR/Ettakatol, les autres partis de gauche PDP (Parti démocrate progressiste, 16 sièges) et PDM (Pôle démocratique moderniste, 5 sièges) se rangeront dans l'opposition.

Les autres forces représentées sont l'Initiative de Kamel Morjane, un ex-ministre de Ben Ali (5 sièges), Afek Tounes (libéraux, 4 sièges), le PCOT (communistes, 3 sièges). Les seize derniers sièges sont répartis entre petits partis et indépendants.