Chef historique du mouvement islamiste tunisien, Rached Ghannouchi, exilé à Londres pendant plus de 20 ans, se retrouve aujourd'hui dans la position du faiseur de rois en Tunisie, où son parti Ennahdha arrive en tête de la première élection post-Ben Ali.

Longtemps considéré comme un radical proche des Frères musulmans égyptiens, auteur de prêches enflammés dans les années 70, Rached Ghannouchi présente, depuis son retour en Tunisie en janvier, un visage modéré et moderne, se réclamant ouvertement du modèle turc.

Son parti Ennahdha (Renaissance, en arabe), arrivé en tête de l'élection d'une assemblée constituante -même si son score exact n'est pas encore connu- pèsera dans toutes les décisions importantes pour l'avenir du pays.

«Je ne suis pas un Khomeiny», «nous avons un parti islamiste et démocratique, très proche de l'AKP turc», a répété Ghannouchi à la presse depuis la chute du président Zine El Abidine Ben Ali, qui a fui la Tunisie le 14 janvier.

«Les acquis de la femme sont intouchables. Les femmes constituent la moitié de la société et nous avons besoin de leurs voix», déclarait-il le mois dernier à l'AFP, affirmant que son parti ne toucherait pas au code du statut personnel élaboré sous Bourguiba.

Silhouette fragile, visage allongé cerclé d'une barbe poivre et sel soignée, cet homme de 70 ans a l'air d'un inoffensif homme de lettres. Difficile d'imaginer qu'il fit trembler le pouvoir tunisien au point que le père de l'indépendance, Habib Bourguiba, voulait le voir «pendu au bout d'une corde» et que son successeur l'a contraint à un exil de plus de 20 ans.

Né à El Hamma, une petite ville du littoral du sud-est, le 22 juin 1941 dans une famille modeste, Rached Ghannouchi s'oriente vers des études religieuses. Après avoir obtenu un diplôme de théologie à Tunis en 1962, il devient instituteur à Gafsa, ville du bassin minier du centre-ouest du pays où il découvre «la misère de l'intérieur».

«Assoiffé de connaissances» et «fasciné» par le nationalisme arabe selon son entourage, il part poursuivre ses études au Caire puis à Damas où il décroche une licence en philosophie. Après un bref passage en France, il rentre en Tunisie à la fin des années 60 et découvre avec effroi une société lancée sur la voie de la laïcité et où les femmes ont obtenu l'interdiction de la polygamie et de la répudiation.

Il s'illustre dans les années 70 par des prêches enflammés, prônant la destruction des «légions d'Israël» et réclamant l'application stricte de la charia (loi coranique) pour mettre de l'ordre dans une société qu'il juge dépravée.

Avec quelques compagnons de route, il fonde début 1981 le Mouvement de la tendance islamique, qui deviendra en 1989 Ennahdha, dont il est désigné l'émir.

Rached Ghannouchi commence à inquiéter le pouvoir. Accusé de fomenter des troubles, il est condamné une première fois à 11 ans de prison fin 1981 puis aux travaux forcés à perpétuité début 1987.

C'est paradoxalement l'arrivée de Ben Ali au pouvoir, en novembre 1987, qui lui sauve la mise: il est gracié en 1988 et en retour, fait allégeance au nouveau président.

«Il rejette la violence et reconnaît le statut de la femme. Mais cela ne suffit pas. Aux législatives de 1989, on a remporté plus de 17% des voix et on a commencé à être matraqués», raconte Ali Larayedh, un des responsables du mouvement à Tunis arrêté en 1990 et qui a passé 14 ans en prison.

Fin 1989, Rached Ghannouchi quitte la Tunisie pour l'Algérie, puis gagne Londres en 1991. L'année suivante, un tribunal militaire de Tunis le condamne avec d'autres responsables religieux à la prison à vie pour «complot» contre le président.

M. Ghannouchi est rentré triomphalement à Tunis le 30 janvier dernier. Le dirigeant d'Ennahdha, qui n'était pas lui-même candidat pour les élections du 23 octobre, a déjà déclaré qu'il ne briguerait pas la présidentielle. Son poste à la tête du mouvement sera remis en jeu lors du congrès d'Ennahdha, prévu en novembre.