La Russie a mené jeudi de nouvelles frappes en Syrie en affirmant viser le groupe djihadiste État islamique (EI), au moment où militaires russes et américains devaient discuter des moyens d'éviter tout incident dans l'espace aérien syrien.

S'agissant de l'Irak voisin où l'EI sévit aussi, Moscou a dit ne pas avoir l'intention d'y étendre ses frappes. L'Irak a lui affirmé qu'il serait prêt à examiner une proposition en ce sens.

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Déclenché en mars 2011, le conflit en Syrie, déjà très complexe, a pris un nouveau tournant avec l'implication des Russes, alliés indéfectibles du régime de Bachar al-Assad, qui ont lancé leurs premières frappes mercredi contre l'EI, un groupe ultraradical qui a pris le contrôle de la moitié du territoire syrien.

Une coalition d'une cinquantaine de pays dirigée par les États-Unis et à laquelle la Russie ne participe pas mène, elle, depuis septembre 2014 des frappes contre l'EI en Syrie sans parvenir à venir à bout du groupe.

De ce fait, l'espace aérien syrien est encombré, entre les missions de la coalition internationale, les raids de l'armée syrienne et désormais les Russes qui ont déployé plus de 50 avions et hélicoptères en renforts en Syrie ces dernières semaines.

Dans ses communiqués, le ministère de la Défense russe affirme avoir ciblé pour la deuxième journée consécutive l'EI. «L'armée a détruit un QG de l'EI et un stock de munitions dans la zone d'Idleb (nord-ouest)», ainsi qu'un atelier de fabrication de voitures piégées du groupe au nord de la région de Homs (centre) et un camp dans Hama (centre). En soirée, une troisième série de frappes a visé l'EI à Hama et Idleb.

IMAGE MINISTÈRE RUSSE DE LA DÉFENSE/REUTERS

Cette image tirée d'une vidéo diffusée par Moscou montre une présumée frappe russe en Syrie, le 1er octobre. 

IMAGE MINISTÈRE RUSSE DE LA DÉFENSE/REUTERS

Cette image tirée d'une vidéo diffusée par Moscou montre une présumée frappe russe en Syrie, le 1er octobre. 

Polémique sur les cibles

Mais les États-Unis, des groupes rebelles et une ONG syrienne ont affirmé que l'action russe se concentrait en fait sur des groupes rebelles qui menacent le régime Assad et pas exclusivement sur l'EI.

Et une source de sécurité syrienne a précisé que les avions russes avaient ciblé jeudi à Idleb et Hama des bases de «l'Armée de la conquête», une coalition regroupant le Front al-Nosra, la branche syrienne d'Al-Qaïda, et des groupes islamistes comme Ahrar al-Cham.

«L'Armée de la conquête», qui combat à la fois le régime et l'EI, avait infligé des revers au régime dans Idleb et menace le «pays alaouite» sur le littoral qui, s'il tombait, sonnerait le glas du régime.

En outre, selon l'influent sénateur américain John McCain, les bombardements russes ont visé mercredi des rebelles entraînés et financés par la CIA. «Je peux absolument confirmer que ces frappes visaient l'Armée syrienne libre ou des groupes qui ont été armés et entraînés par la CIA», a affirmé jeudi matin M. McCain sur la chaîne de télévision CNN.

«C'est une incroyable illustration de (...) ce qu'est la première priorité du (président russe Vladimir) Poutine», a ajouté M. McCain, président de la Commission des forces armées du Sénat. «C'est bien sûr pour soutenir» le président syrien Bachar al-Assad.

Et un groupe rebelle soutenu par les Américains «Souqour al-Jabal» a affirmé à l'AFP avoir été visé par des missiles russes.

L'EI est absent à Idleb, et sa présence est marginale à Hama, alors qu'à Homs il ne se trouve que dans la région désertique et à Palmyre.

Selon des analystes, Moscou essaye avant tout de diminuer la pression rebelle sur les territoires tenus par le régime dans l'ouest et le centre du pays. Et les Occidentaux soupçonnent Moscou de vouloir voler au secours d'Assad sous couvert de combattre le «terrorisme».

Résolution à l'ONU

Le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov a réaffirmé que les frappes russes visaient «l'EI, Al-Nosra et d'autres groupes terroristes», tout comme selon lui celles de la coalition. Le Front al-Nosra - fraction syrienne d'Al-Qaïda - est aussi considéré par Washington comme un groupe «terroriste».

Russes et Occidentaux divergent néanmoins sur la définition de «terroriste». Pour les premiers, tout opposant armé à M. Assad est un «terroriste» alors que les seconds font la distinction entre l'EI, le Front al-Nosra et les autres rebelles modérés qu'ils soutiennent.

Quoi qu'il en soit, et pour éviter tout incident entre leurs avions de chasse, Américains et Russes devaient avoir des discussions militaires pour se coordonner un minimum. Mais à 17 h GMT (13 h à Montréal), rien n'avait encore filtré de la réunion.

Avant cette rencontre, un porte-parole militaire américain a affirmé que les frappes russes n'avaient «pas altéré» les opérations de la coalition internationale.

La Russie a en outre distribué au Conseil de sécurité de l'ONU un projet de résolution antiterroriste qui associerait le régime syrien à une large coalition contre l'EI et le Front al-Nosra.

Les États-Unis, ainsi que Paris et Londres excluent une coopération avec Assad. Mais Washington est en peine de stratégie pour régler le conflit qui a fait plus de 240 000 morts, détruit le pays et provoqué une crise migratoire sans précédent depuis plus d'un demi-siècle, et terrasser l'EI.

L'accélération de l'engagement de Moscou s'inscrit sur fond de bras de fer entre l'Américain Barack Obama et le Russe Vladimir Poutine sur le sort à réserver au président Assad, «tyran» pour l'un et rempart contre l'EI pour l'autre.

L'intervention russe en Syrie a reçu le soutien de l'Iran et de l'Irak, mais elle a été critiquée par la Turquie.

IMAGE MINISTÈRE RUSSE DE LA DÉFENSE/AFP

Cette image tirée d'une vidéo diffusée par Moscou montre une présumée frappe russe en Syrie, le 30 septembre.