Les alaouites, la variante du chiisme dont provient la famille Assad en Syrie, sont en train de lâcher Bachar al-Assad, selon l'auteur d'un récent livre sur les alaouites. Ce groupe n'a pas beaucoup bénéficié des largesses de l'État, qui lui offre comme principal avantage la sécurité et la facilité de faire une carrière militaire. Or, actuellement, les militaires ont la vie dure et les succès du groupe État islamique menacent cette sécurité, selon Leon Goldsmith, de l'Université Sultan Qabus, à Oman.

Q: Pourquoi vous intéresser aux alaouites?

R: J'y suis arrivé par les hasards des études postdoctorales. Mon superviseur m'a donné le choix entre deux domaines encore peu explorés: Chypre et le facteur alaouite en Syrie. J'ai commencé en 2007, alors qu'il semblait y avoir un dégel en Syrie.

Q: Vous évoquez la possibilité que les alaouites lâchent Assad. Quelle en serait la conséquence?

R: Assad semble tenir sa communauté pour acquise. Mais il ne l'a jamais favorisée sur le plan économique. Les alaouites ont perdu entre 60 000 et 100 000 jeunes hommes au combat. C'est énorme [les alaouites représentent environ 10 % de la population syrienne]. En août, il y a eu des manifestations alaouites à Lattaquié, après qu'un cousin d'Assad eut tué un colonel alaouite lors d'une dispute sur le bord d'une route. Le cousin a été arrêté, mais c'est le signe que certains alaouites en ont assez d'Assad, ou à tout le moins considèrent qu'il ne les protège plus assez de l'intolérance religieuse pour justifier une allégeance aveugle. C'est important parce que le contrôle de la Syrie côtière est crucial pour la survie d'Assad.

Q: Quelles sont les relations des alaouites avec le Hezbollah libanais, qui combat aux côtés d'Assad?

R: En apparence, ils sont parfaitement en accord. Mais sur le terrain, les gens du Hezbollah traitent les alaouites de façon condescendante. Ils se considèrent comme de meilleurs chiites qu'eux.

Q: Et avec les Kurdes?

R: Historiquement, alaouites et Kurdes ont toujours eu de bonnes relations, parce qu'ils souffraient également de persécution. Mais la guerre civile les a séparés dans des camps opposés.

Q: L'arrivée au pouvoir des Assad est-elle un accident de l'histoire, ou la famille doit-elle son succès à son origine alaouite?

R: C'est comme les mamelouks qui ont dirigé l'Égypte du XIIIe au XVIe siècle. Au départ, il s'agissait de soldats esclaves. Leur esprit de corps a été cultivé et les a menés tout naturellement à prendre le pouvoir.

Les alaouites ont dû, dès le XIe siècle, se réfugier dans les montagnes côtières de la Syrie actuelle, pour survivre aux persécutions religieuses. Ils ont développé un sentiment d'appartenance très fort.

Quand ils ont été acceptés dans la communauté islamique, durant le régime colonial français des années 20 et 30, ils ont gardé cette cohésion. Les Français les ont favorisés pour leur armée coloniale, ce qui a mené à l'ascension de Hafez al-Assad à la fin des années 60. Mais Assad père n'aurait jamais conservé le pouvoir aussi longtemps sans son instinct politique très fin.

Q: Votre livre Cycle of Fear suit les alaouites depuis le Bagdad du IXe siècle. Quels ont été les moments les plus importants de leur histoire?

R: Lors de leurs débuts, ils étaient une élite urbaine, une branche du chiisme qui considère qu'Ali, le quatrième calife, avait un caractère divin. Rapidement, ils ont été visés par l'intolérance sunnite et se sont réfugiés à Damas.

Ils ont connu une autre période de proximité avec le pouvoir pendant la dynastie hamdanide à la fin du Xe siècle. Ensuite, ils ont dû se réfugier dans les montagnes côtières, à la frontière entre l'Empire byzantin et le monde islamique. C'était un genre de no man's land, une zone moins bien régentée par les dirigeants islamiques.

Cet état a perduré avec les royaumes chrétiens issus des croisades. Quand la région est devenue plus gouvernée, à partir du XIIIe siècle, les alaouites s'étaient bien implantés et avaient un fort esprit de corps, et avaient notamment la tradition de mentir sur leurs allégeances religieuses afin de survivre.

Durant le mandat colonial français, les alaouites ont eu leur propre État. La majorité sunnite de la Syrie les a convaincus de rejoindre le projet national avec une déclaration formelle d'autorités religieuses selon laquelle l'alaouisme faisait partie du chiisme, en 1936.