Maaloula, village syrien où l'on parle encore la langue de Jésus, est tombé entre les mains des islamistes du Front Al-Nosra à la fin de 2013. Ce mois-ci, le régime syrien a réussi à chasser les islamistes extrémistes de cette bourgade stratégique, située près de la voie qui relie le nord et le sud de la Syrie. Mais l'héritage et la langue de ce village chrétien unique au monde n'en sont pas moins menacés.

Widad, 63 ans, a les lèvres tremblantes et les yeux remplis d'eau quand elle évoque son histoire familiale à Maaloula, un village syrien abritant la communauté chrétienne qui parle la langue la plus proche de l'araméen dans lequel s'exprimait Jésus.

«Maaloula, c'est chez moi, c'est mon histoire et mon enfance, ce sont mes grands-parents et mes enfants», dit cette Syrienne qui a dû fuir son village pour se réfugier à Beyrouth. La famille y possède un modeste appartement où elle a l'habitude de séjourner quand l'hiver rude s'abat sur les montagnes autour de Maaloula.

Mais cette année, ce n'est pas l'hiver, mais la guerre qui l'a obligée à quitter son village, qui a été envahi par les islamistes du Front Al-Nosra à la fin de 2013.

«Maaloula, c'est tout ce que j'ai», ajoute-t-elle avec émotion, pendant que son mari Sami, 68 ans, se réfugie sur le balcon pour qu'on ne voie pas ses propres larmes.

En plus d'avoir réussi à sauvegarder pendant plus de 2000 ans l'araméen parlé par Jésus, Maaloula est célèbre pour ses monastères, parmi les plus anciens au Moyen-Orient. Après l'arrivée du Front Al-Nosra, la majorité de ses 10 000 habitants a fui et la langue transmise de génération en génération (le néo-araméen occidental) est maintenant menacée, craint Widad.

«Les villageois se sont éparpillés un peu partout et risquent d'adopter la langue de l'endroit où ils se sont établis.»

«Les icônes, les cloches, les croix des églises et des monastères, tout doit avoir été pillé», se désole Widad. Comme la majorité de ses voisins de Maaloula, Widad et Sami ne sont pas très riches. Et ils ont peur que la guerre civile qui déchire leur pays leur ait pris le peu qu'ils avaient.

«Je me souviens de chaque rue où j'ai marché et de chaque bibelot de ma maison, tout ça, c'est fini. J'ai vu aux nouvelles et sur YouTube des vidéos montrant comment le village a été détruit et pillé.»

La soeur de Widad, Anna, a fui le village elle aussi. Jointe à Damas, elle était soulagée de voir que les extrémistes ont finalement été chassés de Maaloula. Mais elle n'était pas certaine de pouvoir y retourner.

«Quitter Maaloula a été l'un des pires moments de ma vie. J'ai regardé par la fenêtre arrière de la voiture et je me demandais si je reverrais un jour ma maison.»

Anna a appris que les islamistes ont laissé derrière eux un champ de mines et de ruines. «La plupart des habitants de Maaloula n'auront pas les moyens de reconstruire leurs maisons», se désole-t-elle.

Une langue menacée

C'est au milieu du XIXe siècle que des orientalistes visitant le village de Maaloula ont pris conscience de la proximité entre la langue locale et l'araméen de l'époque du Christ. Selon l'UNESCO, l'araméen est une langue en danger de disparition. Le néo-araméen occidental de Maaoula, ce village perché dans les montagnes de Qalamoun, l'est plus encore.

Pour préserver la langue, il faut «protéger les gens qui la parlent et leur environnement», dit Makarios Wehbi, un pasteur canadien originaire de Maaloula.

Établi à Ottawa, le pasteur Wehbi se bat pour protéger la langue du Christ contre l'oubli, y compris par des méthodes modernes, comme une page Facebook dédiée à l'enseignement de l'araméen. Sa page compte environ 1500 abonnés.

L'araméen de Jésus traverse une période critique, selon lui. «Si nous perdons le tissu social qui l'a protégée pendant tant de siècles, nous finirons par perdre la langue.»

Article traduit par La Presse