Au Liban, des internautes exaspérés par la récente vague d'attentats dans le pays protestent en diffusant des autoportraits (selfies) sur les réseaux sociaux afin de dénoncer l'impunité dont jouissent les poseurs de bombes. Une première pour la société civile libanaise.

Les attentats et les conflits armés font partie du quotidien au pays du Cèdre. En moins d'une semaine à la fin du mois de décembre, deux attentats à la voiture piégée liés au conflit syrien ont endeuillé la capitale, Beyrouth.

Les Libanais, habitués à l'insécurité ambiante auraient pu, comme à leur habitude, continuer à vaquer à leurs occupations quotidiennes. Mais la mort de Mohamad Chaar, 16 ans, dans l'attentat qui a coûté la vie au politicien sunnite et opposant au Hezbollah Mohamad Chatah, le 27 décembre dernier, a bouleversé la société civile qui s'est rapidement mobilisée sur les réseaux sociaux en lançant la campagne «Nous ne sommes pas des martyrs».

Dès le lendemain de l'attaque, les internautes libanais on prit d'assaut Facebook et Twitter en créant le mot-clic #NotAMartyr (pas un martyr).

La campagne encourage les Libanais à publier des selfies et des slogans pour dénoncer l'instrumentalisation de la mort des victimes à des fins politiques par les différents clans au pouvoir dans le pays et la banalisation de la violence.

Elle rend également hommage au jeune Mohamad Chaar qui, quelques minutes avant l'attentat, s'était pris en photo avec ses amis sur le lieu de l'explosion.

«En tant que futur médecin, j'espère qu'aucun de mes patients ne sera victime de la guerre, de la politique ou de la religion. Je ne veux plus expliquer aux gens que le Liban n'est pas un pays de terroristes». Ces messages figurent parmi ceux qui ont été publiés sur la page Facebook de la campagne à la suite de l'attentat du 27 décembre.

Pour le blogueur libanais Gino Raidy, la campagne «Nous ne sommes pas des martyrs», est née du ras-le-bol des Libanais face aux divisions politiques et communautaires qui rongent le Liban. «Au Liban le mot "martyr" est lié à la religion. Les politiciens ont abusé de ce mot, en l'utilisant pour décrire toute personne tuée dans un attentat. C'est également une façon, pour eux, de ne pas amener les coupables devant la justice. Mais les Libanais ont commencé à s'en rendre compte», explique-t-il.

«Si vous mourez dans un attentat alors que vous êtes en train de magasiner, vous n'êtes pas un martyr. Mohamad Chaar n'était pas un martyr. Il ne voulait pas mourir», ajoute le blogueur.

D'autres revendications

Droit de la femme, droits des homosexuels... Pour certains, la campagne est également l'occasion de dénoncer les nombreux problèmes sociaux ignorés par les politiciens libanais.

Le leader du populaire groupe de musique libanais Mashrou3 Leila, Hamed Sinno, a d'ailleurs publié une photo dans laquelle il revendique le droit de tenir la main de son petit ami sans craindre des représailles de la police.

«J'ai senti qu'avec cette campagne je pouvais remettre en question le discours politique», explique le chanteur.

Pour l'analyste politique et journaliste Carol Maalouf, les chances que cette campagne fasse évoluer les moeurs politiques au Liban sont toutefois très minces.

«Comme toute campagne sur les réseaux sociaux, cela permet de comprendre comment les gens se sentent, dit-elle. Cependant, les gens derrière cette initiative sont très jeunes. Il s'agit d'activistes et d'étudiants qui prennent des photos d'eux-mêmes dans le confort de leur salon, mais qui n'iront jamais sur le terrain essayer de changer les choses. Cette campagne ne mènera certainement pas à des manifestations.»