Ersal, bourgade libanaise à la frontière syrienne, est devenue la base arrière des rebelles syriens. La ville accueille aussi des dizaines de milliers de réfugiés, au point que l'on se croirait plus en Syrie qu'au pays du Cèdre.

À intervalles réguliers, des pick-up sans plaques d'immatriculation dévalent les pentes montagneuses de l'Anti-Liban, empruntant un chemin de terre cahoteux, parsemé de trous. Derrière les vitres poussiéreuses se dessinent des visages barbus, fatigués, enfouis sous des keffiehs blanc et rouge. Après deux heures de trajet depuis la région de Qalamoun, en Syrie, les hommes - pour la plupart des combattants syriens - atteignent les premiers faubourgs d'Ersal, accueillis par des troupeaux de moutons, entourés de vastes carrières de pierre blanchâtres.

Ersal est la première ville libanaise située de l'autre côté de la frontière syrienne, sur un plateau aride dans la plaine de la Bekaa, dans le nord-ouest du pays. Depuis le début de la guerre en Syrie, la bourgade sert de base arrière aux rebelles syriens, comme le rappellent les drapeaux de l'Armée syrienne libre tagués sur les murs.

«Ersal est un poumon indispensable pour nous. On peut s'y reposer entre les combats et faire soigner tous les blessés. Tous les autres points de passage à la frontière sont contrôlés par l'armée syrienne ou le Hezbollah», raconte Tarek, un jeune combattant en treillis de la brigade Haqiqqa, affiliée aux Frères musulmans. Pendant deux jours, il est venu retrouver sa femme et ses enfants, réfugiés à Ersal, avant de repartir au front.

La route de montagne entre le Liban et la Syrie, bien que périodiquement pilonnée par les hélicoptères de l'armée syrienne, est plus facilement accessible depuis que les rebelles ont repris la plupart des villages syriens frontaliers début 2012. Elle sert également à la contrebande de toutes sortes de marchandises: mazout, bois, nourriture, pièces détachées de voitures et, bien sûr, les armes.

Depuis le début du mois, le régime de Bachar al-Assad a cependant décidé de reprendre tous les villages proches de la frontière pour couper tout ravitaillement des rebelles au Liban. La région, dite de Qalamoun, est aussi vitale pour le régime, car elle relie Homs, troisième ville de Syrie, et le nord de Damas - la capitale syrienne -, où les rebelles disposent de places fortes.

«Si le régime arrive à contrôler Qalamoun, nous ne pourrons plus libérer Homs et nous serons encerclés autour de Damas», explique Tarek le combattant. Le maire adjoint d'Ersal, Ahmad Fliti, exprime également ses inquiétudes. «Les alentours d'Ersal sont régulièrement bombardés par l'armée syrienne, et si tous les combattants se replient au Liban, la situation deviendra catastrophique.»

Avec l'intensification des affrontements, des combattants blessés arrivent chaque jour à Ersal. Ils sont soignés avec les moyens du bord dans un dispensaire, situé à l'intérieur d'une mosquée, dans le centre de la ville. Les traitements sont financés par des associations caritatives proches du Qatar et de l'Arabie saoudite. «Depuis une semaine, nous pratiquons plusieurs opérations par jour. Ce sont surtout les membres et le visage qui sont touchés», explique Mohammad Ammar, un médecin syrien qui gère le dispensaire.

Fuir avec un bébé de 4 mois

Depuis le 15 novembre, les combats à Qalamoun ont aussi jeté des milliers de civils sur les routes, en particulier après la prise de la ville de Qara par l'armée. Houla fait partie de la plus récente vague de réfugiés. Elle a fui précipitamment avec son bébé de 4 mois, Ahmed, sans vêtements ni argent. «Nous n'avions vu des bombardements pareils qu'à la télévision. En quelques heures, notre vie s'est transformée en cauchemar. Nous avons dû tout laisser derrière nous», raconte la jeune maman, encore sous le choc.

Pendant un bref cessez-le feu, elle s'est terrée dans les sous-sols de son immeuble, puis a fui avec des voisins en camion vers le Liban. «À Ersal, nous logeons chez des parents lointains. Nous vivons à 15 personnes dans une seule chambre, sans aucun matelas pour dormir. Nous devons participer au loyer, mais nous n'avons plus rien», s'inquiète Houla, son bébé dans les bras, emmitouflé dans une couverture de laine.

Selon l'UNHCR, l'agence des Nations unies pour les réfugiés, plus de 20 000 réfugiés se sont enregistrés depuis deux semaines à Ersal. Ils s'ajoutent aux 20 000 réfugiés précédents.

L'hébergement reste la principale préoccupation pour les réfugiés syriens, qui logent là où ils peuvent: dans des hangars et des maisons en construction, ou dans de fragiles tentes, sous le froid glaçant de l'hiver. Pour la première fois, le gouvernement libanais a accepté que l'UNHCR installe des camps de tentes temporaires pour accueillir les réfugiés; 70 ont déjà pu être installées ces derniers jours à Ersal.