Le secrétaire d'État américain John Kerry a évoqué dimanche des preuves de l'utilisation du gaz sarin en Syrie, première étape d'une campagne pour convaincre un Congrès sceptique d'autoriser Barack Obama à lancer des frappes contre le régime Assad.

«Le projet de résolution que j'ai vu est trop vague, trop ouvert», a critiqué dimanche un important démocrate de la Chambre des représentants, Chris Van Hollen. «Par exemple il n'y a pas d'interdiction de déploiement de troupes au sol, et c'est complètement ouvert au niveau de la durée», a-t-il dit après une réunion d'information à huis clos au Capitole.

La veille, bouleversant des décennies de pratiques présidentielles et créant la surprise, Barack Obama avait en effet annoncé son intention de formellement requérir une autorisation de recours à la force militaire en Syrie, un pari risqué tant le Congrès s'est montré peu coopératif avec lui cette année.

Et dimanche matin, John Kerry, dépêché sur cinq plateaux de télévision, lançait l'offensive de l'administration Obama, assurant qu'il était inconcevable que les parlementaires américains ne se montrent pas à la hauteur : pour les convaincre, il a présenté un nouvel argument, en affirmant que les États-Unis avaient acquis indépendamment de l'ONU des échantillons capillaires et sanguins contenant des traces de gaz sarin, un agent neurotoxique.

Jeudi, l'administration américaine avait déjà rendu public un rapport des renseignements citant un faisceau d'éléments prouvant, selon Washington, l'implication de responsables syriens dans l'attaque à l'arme chimique menée le 21 août en Syrie.

«Je ne pense pas que mes anciens collègues du Sénat et de la Chambre refuseront de défendre nos intérêts, la crédibilité de notre pays, les normes relatives à l'application de l'interdiction de l'usage des armes chimiques, qui sont en place depuis 1925», a assuré sur la chaîne de télévision NBC dimanche John Kerry, qui a passé 28 ans au Sénat avant de prendre la tête de la diplomatie américaine.

Pas de chèque en blanc

Après une audition au Sénat mardi, la commission des Affaires étrangères du Sénat pourrait se prononcer dès mercredi matin sur la résolution, selon une source parlementaire. Le débat en plénière ne commencera qu'après la rentrée parlementaire officielle, la semaine du 9 septembre.

«Je pense que le Congrès finira par se montrer à la hauteur», a assuré sur la chaîne de télévision CNN Mike Rogers, le républicain qui préside la commission du Renseignement de la Chambre des représentants. «C'est une question de sécurité nationale, ce n'est pas Barack Obama contre le Congrès».

Mais certains de ses homologues sont loin d'être aussi catégoriques et ne veulent pas signer de «chèque en blanc», un terme employé par M. Van Hollen.

«La résolution, telle quelle, n'a pas le soutien nécessaire, il y a beaucoup d'inquiétude sur le fait qu'elle est trop ouverte», a expliqué Jim Himes, un démocrate, après la réunion au Capitole, un reproche formulé par plusieurs autres élus des deux partis.

Le sénateur démocrate Patrick Leahy, président de la commission de la Justice, a révélé qu'il travaillait déjà sur un langage alternatif, plus restrictif.

«Si le Congrès est juste, il soutiendra le président», espérait le représentant démocrate Eliot Engel, mais «on ne peut pas empêcher les élus de se lancer dans un combat politique pour essayer de le faire tomber ou de l'affaiblir».

Le groupe républicain, qui est majoritaire à la Chambre des représentants, est ainsi partagé entre les interventionnistes et les conservateurs réticents face à une opération dont ils ne décèlent pas l'intérêt national vital.

La Chambre est en outre hostile au président et hautement imprévisible, les dirigeants républicains ayant déjà subi dans le passé des rébellions internes de la part d'un groupe d'élus ultra-conservateurs du Tea Party.

Les partisans du «oui» s'inquiètent des effets collatéraux d'un éventuel camouflet pour Obama au Congrès : si les Iraniens «pensent que le président bluffe quand il parle de ligne rouge, vont-ils penser que le président bluffe quand il dit que toutes les options sont sur la table en Iran?», s'est ainsi interrogé la républicaine Ileana Ros-Lehtinen.

Côté Sénat, les démocrates ont la majorité, mais ils auront dans tous les cas besoin de l'appui de plusieurs républicains pour atteindre la majorité qualifiée requise (60 voix sur 100).

Les échantillons des experts de l'ONU transmis lundi

Par ailleurs, l'ONU a indiqué dimanche que les échantillons recueillis par des experts de l'ONU sur des sites présumés d'attaque chimique en Syrie seront transmis aux laboratoires compétents à partir de lundi.

«Les préparatifs pour répertorier les échantillons progressent et les échantillons vont commencer à être transmis aux laboratoires demain», a déclaré à la presse le porte-parole de l'ONU Martin Nesirky.

Selon le chef des experts, Aake Sellström, qui s'est entretenu dimanche depuis La Haye avec le secrétaire général Ban Ki-moon, «deux responsables syriens surveillent ce processus», a ajouté M. Nesirky.

Il a refusé une nouvelle fois de donner un calendrier précis pour les conclusions de l'enquête de l'ONU, qui dépendra des résultats des analyses en laboratoire.

Selon l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC) dont le siège est à La Haye, les analyses pourraient prendre trois semaines.

«Compte tenu de l'ampleur terrible de l'incident du 21 août dans la Ghouta près de Damas (M. Ban) a demandé au Dr Sellström d'accélérer l'analyse des échantillons et des informations que la mission a obtenus» sans nuire à la rigueur scientifique indispensable «et de lui en communiquer les résultats dès que possible», a indiqué M. Nesirky. Les deux hommes «ont discuté des moyens d'accélérer encore le processus».

Mais, a souligné le porte-parole, «l'ensemble du processus sera mené en conformité avec les normes les plus strictes de vérification» établies par l'OIAC.

L'ONU avait affirmé samedi qu'elle ne tirerait «aucune conclusion» sur l'utilisation d'armes chimiques en Syrie, en particulier le 21 août près de Damas, avant le résultat des analyses.

M. Ban doit s'entretenir mardi du déroulement de l'enquête avec les ambassadeurs des dix pays non membres permanents du Conseil de sécurité. Il avait reçu vendredi pour la même raison les ambassadeurs des cinq pays membres permanents du Conseil de sécurité (États-Unis, France, Royaume-Uni, Russie, Chine). La présidence tournante du Conseil pendant le mois de septembre est assurée par l'Australie.

M. Nesirky a aussi indiqué que M. Ban avait parlé au téléphone dimanche matin de la crise syrienne avec le ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius et «qu'il continuera(it) de rester en contact avec les dirigeants mondiaux dans les jours qui viennent».

M. Ban, a-t-il précisé, doit quitter New York mardi pour Saint-Pétersbourg (Russie) afin de participer au sommet du G20 «où la Syrie figurera sans doute au premier rang des discussions».