Washington a annoncé mardi avoir placé le Front al-Nosra sur sa liste d'organisations terroristes étrangères. En moins d'une année, ce groupe djihadiste affilié à Al-Qaïda s'est pourtant révélé être l'un des plus redoutables ennemis du régime de Bachar al-Assad en Syrie. Mais l'aile la plus radicale de la rébellion syrienne, aussi efficace soit-elle, risque surtout de devenir le pire cauchemar de l'Occident -et d'une future Syrie libérée.

Qu'est-ce que le Front al-Nosra?

Le groupe était inconnu lorsqu'il a revendiqué son premier attentat suicide, le 6 janvier dernier, dans un autobus de Damas. Depuis, Jabhat al-Nosra (littéralement: «front du soutien») a revendiqué plus de 500 attaques meurtrières.

En quelques mois, le Front al-Nosra est ainsi devenu la force combattante la plus efficace de la rébellion. Soutenus par de riches donateurs des États du Golfe, ses djihadistes ont l'audace et les moyens de se déployer sur presque toutes les lignes de front du pays.

Sa plus récente prouesse guerrière: lundi, le groupe a pris le contrôle de la base militaire de Cheikh Souleimane, dernière place forte de l'armée syrienne à l'ouest d'Alep. Un coup dur pour le régime de Bachar al-Assad.

Le Front al-Nosra est aussi un rejeton du groupe Al-Qaïda en Irak. Une bonne partie de ses membres ont pris part à la campagne sanglante contre la présence américaine dans ce pays. D'autres ont aiguisé leurs talents de combattants sur les champs de bataille de l'Afghanistan, de la Libye et du Yémen.

Comment explique-t-on la montée en puissance de ce groupe djihadiste au sein de l'opposition syrienne?

«La révolte syrienne a commencé avec des manifestations pacifiques», rappelle Houchang Hassan-Yari, professeur en relations internationales au Collège militaire royal du Canada. Le refus du régime d'accepter les réformes réclamées a conduit à la radicalisation des opposants, ainsi qu'à un contexte favorable à l'arrivée des groupes étrangers prêts à poursuivre leur djihad en Syrie.»

L'immobilisme du reste du monde par rapport au conflit a envenimé la situation, souligne pour sa part l'International Crisis Group (ICG) dans un rapport publié en octobre. «La communauté internationale a rapidement blâmé l'opposition pour la fragmentation et la dérive radicale que ses propres divisions, ses dysfonctionnements et son impuissance ont tant fait pour favoriser.»

Les prouesses des djihadistes sur le champ de bataille les ont rendus populaires auprès des rebelles, dont plusieurs se rallient à eux pour obtenir l'argent et les armes indispensables à leur lutte.

Le Front al-Nosra est-il une création du régime?

«Au cours de ses premiers mois d'existence, on a cru que le Front al-Nosra était une fabrication des services de renseignement syriens», explique Sami Aoun, directeur de l'Observatoire sur le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord de la chaire Raoul-Dandurand de l'UQAM.

Mais la bête créée par le régime syrien s'est échappée.

Depuis le début, Bachar al-Assad tente de discréditer ses opposants en les qualifiant de terroristes. De là l'hypothèse de la manipulation, d'autant plus plausible qu'au fil des ans, Damas a soutenu des groupes terroristes au Liban et en Irak. «Bachar al-Assad les a aidés à entrer en Irak sous prétexte de combattre l'envahisseur, explique M. Aoun. Aujourd'hui, les djihadistes prennent la route que M. al-Assad a lui-même ouverte... mais en sens inverse, pour se battre contre lui.»

Pourquoi Washington a-t-il déclaré le groupe terroriste?

«Les extrémistes et les idéologies terroristes n'ont pas leur place dans la Syrie post-Assad», a déclaré mardi une porte-parole du département d'État. Washington veut à tout prix isoler le Front al-Nosra pour l'empêcher de s'emparer du pouvoir - ou de poursuivre la lutte armée - après la chute du régime.

«Les Américains veulent éviter le scénario libyen, où des membres d'Al-Qaïda ont assassiné l'ambassadeur américain, explique M. Aoun. Cela se justifie. Ils sont allés en Afghanistan pour chasser les talibans, leurs protecteurs. Les soutenir dans l'opposition syrienne, c'était une incohérence intolérable.»

Mais les États-Unis se mettent à dos les meilleurs combattants d'une rébellion qu'ils disent soutenir. «D'un point de vue purement réaliste, c'est un geste contre-productif, dit M. Hassan-Yari. Mais les Américains ont une obligation morale. Quand ils appellent à la fin du régime syrien, c'est parce que ce régime est violent et ne respecte pas les droits de l'homme. Dans ce contexte, ils ne peuvent pas collaborer avec des groupes terroristes.»

Si les rebelles l'emportent, que feront les djihadistes en Syrie?

«Les djihadistes sont des gens endoctrinés pour une cause, celle d'imposer leur lecture de l'islam. Ils n'ont pas d'attaches. Ils ne font pas partie d'un mouvement constructif pour la future Syrie libérée. Demain, ils se tourneront contre les gens qui luttent actuellement à leurs côtés contre le régime», s'inquiète M. Hassan-Yari.

Cela dit, les islamistes radicaux n'auront pas la tâche facile en Syrie, réputée pour sa pratique modérée de l'islam et sa longue tradition de coexistence religieuse pacifique, souligne l'ICG. Voisine du Liban et de l'Irak, la Syrie sait trop bien que les divisions sectaires engendrent des guerres civiles destructrices.

Depuis quelques jours, les habitants de la capitale syrienne doivent composer avec une escalade de violence. Les rebelles se sont engagés dans un combat qui provoquera, espèrent-ils, la chute du régime de Bachar al-Assad, après un conflit de 20 mois qui a fait 42 000 morts. Parmi les ennemis du régime, les djihadistes du Front al-Nosra sont sans doute les plus redoutables. Ils ont revendiqué des dizaines d'attentats suicide, dont plusieurs au coeur même de la capitale.