Auteur, journaliste et chercheur au Global Research in International Affairs Center, en Israël, Jonathan Spyer s'est rendu à deux reprises en Syrie depuis le mois de février aux côtés des rebelles. De passage à Montréal, ce spécialiste du Moyen-Orient et de l'opposition au régime du président Bachar al-Assad a accepté de faire le point avec nous sur la situation en Syrie.

Q: Plus de six mois séparent vos deux voyages en Syrie. Comment la situation a-t-elle évolué sur le terrain?

R: Je suis entré en Syrie par la frontière turque. En février, j'étais dans la province d'Idlib et, en septembre, à Alep. La plus grande différence est qu'entre février et septembre, le régime syrien a abandonné toute tentative de continuer à contrôler le terrain dans cette partie de la Syrie.

En février, l'armée contrôlait les frontières et restait déployée dans les zones rebelles. Les insurgés, quant à eux, ne pouvaient pas se déplacer sur les routes principales.

Le régime avait encore le contrôle, et l'opposition restait presque clandestine. Mais en septembre, les choses avaient complètement changé. L'Armée syrienne libre (ASL) est maintenant une présence visible au sol, elle n'a plus peur de se montrer en plein jour. L'armée du régime se fait discrète et s'est repliée sur les territoires qu'elle contrôle.

Q: Pourquoi une telle pénurie d'hommes?

R: Si le régime Assad a beaucoup d'argent et encore beaucoup de pouvoir, il a peu d'hommes qui sont prêts à s'engager sur le terrain. Le régime s'appuie sur une petite réserve d'hommes: les forces spéciales, la garde républicaine ou encore les forces irrégulières. Les rebelles peuvent contrôler le sol, mais ils n'ont aucun contrôle aérien. Le président Assad peut lancer des frappes aériennes contre les civils. Les hommes du gouvernement ont des armes, des chars d'assaut, des avions. Évidemment, ils ont un avantage.

Q: Quelle issue voyez-vous à cet affrontement, entamé il y a bientôt deux ans?

R: Je crois que les rebelles sont en train de l'emporter, mais très, très lentement. C'est un enlisement. Les forces rebelles font peu de gains et le régime recule très lentement. Si rien ne change sur le plan du soutien international d'un camp ou de l'autre, on peut craindre un enlisement.

Q: Quel est le poids, du côté pro-Assad, du Hezbollah libanais et de l'Iran?

R: Le régime Assad est soutenu par une coalition internationale, avec la Russie et l'Iran. Les rebelles, quant à eux, ont un soutien plus ponctuel de la Turquie, du Qatar ou de l'Arabie saoudite. C'est une différence majeure qui explique, selon moi, la longue survie du régime Assad.

On a pu constater sur le terrain une grande présence de combattants du Hezbollah libanais, notamment à Homs. Les amis du président Assad sont prêts à l'aider.

Le Hezbollah devient, selon moi, de plus en plus important, au fur et à mesure que le régime s'affaiblit. Il faut comprendre qu'ils font tous deux partie de la même alliance régionale. Pour l'Iran comme pour le Hezbollah, la survie d'Assad est essentielle pour des raisons géostratégiques.

Les Iraniens veulent maintenir une aire d'influence qui va de l'Afghanistan à l'Irak, à la Syrie et au Hezbollah du Liban. Une chute de la Syrie serait un recul terrible pour l'Iran, et pour le Hezbollah aussi, ce qui explique son engagement sans ambiguïté.

Q: Les pays occidentaux, les États-Unis en tête, prennent-ils la situation au sérieux?

R: Malheureusement, non. Le principal intérêt des États-Unis, dans ce dossier, est de ne pas se mêler de la situation et de sous-traiter aux puissances régionales le soutien à l'insurrection. Ils ont préféré ne pas peser de tout leur poids, mais on le voit maintenant, ces pays n'ont pas été assez forts pour faire tomber Assad. Si le régime l'emporte, cela donnera un élan certain aux ennemis du monde occidental. Les élites pourront comparer le destin des alliés de l'Amérique (Kadhafi en Libye, Moubarak en Égypte ou Ben Ali en Tunisie) à celui des alliés de l'Iran. Bachar al-Assad doit tomber. Sinon, ce sera une défaite majeure pour l'Ouest et une victoire certaine pour l'Iran.